L'enfance d'Arthur ressemblait à ces dessins-animés pour les tout-petits – c'est bien le seul endroit où l'on peut voir un enfant se jurer de ne plus jamais mentir après avoir mangé en cachette un morceau de tarte aux framboises, avoir accusé le chien lorsqu'on lui avait demandé où celle-ci était passée, pour finalement tout avouer sous le poids de la culpabilité... et entendre ses parents dire qu'ils le savaient, qu'ils attendaient simplement qu'il assume sa responsabilité, et tout s'était résolu comme par miracle.
L'adorable enfant était venu au monde dans une famille modèle et avait reçu à la naissance la lourde tâche de suivre les traces de ses parents. Mr. White était un moldu tout ce qu'il y a d'ordinaire ; carrure d'un employé de bureau légèrement bedonnant, cheveux brun cendré coupés courts, yeux bleus cachés derrière des lunettes noires, légères ridules au coin des lèvres lorsqu'il souriait. Il se levait tôt le matin pour partir travailler comme instituteur et revenait peu avant la nuit tombée, un journal à la main et une tasse de café pour sa femme. Le week-end, monsieur ne manquait jamais sa partie de bridge avec ses collègues, une tradition qui avait été établie à l'époque où Arthur n'était encore qu'un bébé. Il consacrait le dimanche à sa petite famille. Mrs. White était elle aussi une moldu tout ce qu'il a de plus ordinaire ; allure sportive de la femme qui ne sait jamais s'arrêter, tailleurs impeccables même en été, longs cheveux blonds ramenés sur le devant en tresse épaisse mais soignée, un trait de khôl seulement pour souligner son regard marron. Elle avait en charge le planning d'arrivée et de déchargement des bateaux du port de Dublin et avait dévéloppé la manie de vouloir organiser sa vie à la minute près. Sa vie se résumait donc à une perpétuelle lutte contre la montre, qui lui laissait parfois à peine le temps d'embrasser son fils au moment de le déposer à l'école. Mais qu'on ne l'accuse pas d'avoir été distante avec lui : elle aussi consacrait tous ses dimanches à sa petite famille, le seul moment de la semaine où elle se permettait de se détendre et d'abandonner sa montre dans le tiroir de sa table de nuit.
Douce et agréable petite vie qui était celle d'Arthur, le gamin qui était passé par toutes les phases de la vie d'un gamin. En un sens, il n'y avait rien à raconter : allumez la télévision ou lisez un livre pour enfants, et la vie d'Arthur défilera en détail sous vos yeux. Vous connaîtrez toutes les étapes de sa vie, jusqu'au moment où il entra à Poudlard, et nous reprendrons notre récit à ce moment-là, voulez-vous ?
Ah oui. Vous aussi, vous avez envie de voir
derrière le rideau. Cela se comprend : quel enfant ordinaire pourrait faire de quelques duellistes illégaux mal organisés l'un des groupes les plus florissants de tout Poudlard ?
Effectivement, ce n'est pas à la portée de n'importe qui.
ARTHUR VA À L'ÉCOLEPremier chapitre de la vie d'Arthur, son entrée à l'école primaire peu avant ses six ans. Suivant la mode du temps, ses parents avaient choisi une école fournissant un enseignement en gaélique, estimant que la connaissance d'une langue supplémentaire n'étant pratiquée que dans leur pays serait un atout pour son avenir. Ils avaient également fait le choix de la multi-confessionnalité, afin d'éviter que leur fils ne prenne partie pour l'une ou l'autre branche du christianisme qui avaient toutes deux ensanglanté l'Irlande pendant des décennies. Le choix parfait, donc, pour un gamin plus curieux que d'ordinaire, qui assimilait les connaissances plus vite qu'une éponge.
C'était là qu'il avait appris à se cacher.
C'était là qu'il avait appris la jalousie.
Une lettre, adressée par le professeur d'Arthur à Mr. et Mrs. White, disait ceci :
J'aimerais attirer votre attention sur quelques uns des problèmes posés par Arthur, afin que vous puissiez en discuter avec lui. Je crains que son comportement n'ait une mauvaise influence sur les autres enfants et ne contribue à la mauvaise ambiance de sa classe, dont il a dû très certainement se plaindre auprès de vous.
Votre enfant est brillant, mais il n'a pas la maturité nécessaire pour comprendre que d'autres puissent trouver difficile ce qui pour lui est inné. Il se moque très souvent des autres élèves, sans penser à mal bien sûr, juste parce qu'il ne conçoit pas qu'ils puissent avoir besoin de plus de temps que lui pour apprendre autant que lui. Ce qui ne poserait peut-être pas problème si votre fils ne devenait turbulent dès que l'on ne s'occupe plus de lui. Je me charge de le rappeler à l'ordre et de lui redonner de nouveaux exercices pour l'occuper, mais si je tourne le dos pour m'occuper d'un autre élève, il ne se contrôle plus : il va jouer sur sa console, que j'aimerais bien ne plus voir à l'école, puisque les autres s'arrêtent de travailler pour le regarder, il se promène en classe et va discuter avec ses camarades, etc. Depuis que je lui ai dit qu'il n'avait pas le droit de faire tout cela, il donne les bonnes réponses aux autres élèves pour que le cours avance plus vite. Je suis obligé de le punir pour le calmer, mais cela n'arrange pas les choses. Il devient bougon, et je crois qu'il m'en veut et ne veut plus m'écouter.
Arthur n'est pas un mauvais élève, bien sûr, et je suis persuadé que son comportement peut s'améliorer. Prenez la peine de lui parler sérieusement, et expliquez-lui pourquoi il doit laisser les autres enfants travailler. Je ne pourrai rien faire si vous ne le recadrez pas vous-même de votre côté. Il doit comprendre comment fonctionne l'école, pour son propre bien, et celui des autres.
Alors Arthur avait détesté les six années d'école primaire qui lui étaient imposées. Il avait acquis la certitude que son intelligence serait décriée par ceux qui n'avaient pas la chance d'en être aussi bien dotés que lui, à commencer par les professeurs qui semblaient avoir du mal à accepter qu'un de leurs élèves pût être un génie. Et naturellement, les autres élèves lui renvoyaient la monnaie de sa pièce pour toutes les insultes innocentes qu'il leur envoyait. Arthur envisageait son rapport au monde comme une lutte contre un monde hostile et étranger, un peu à l'instar de sa mère avec le temps.
Non, c'est faux. Son seul et véritable n'avait toujours été que
l'ennui. Son esprit, qui enregistrait méthodiquement toutes les informations que son environnement lui fournissait, finissait par se lasser de ces stimuli stériles et réclamait de nouvelles expériences. L'ennui était ce qui le poussait à tester les limites qu'on lui imposait, pauvre enfant joueur qui ne réussissait à trouver la satisfaction dans les plaisirs puérils. Il avait cette sensation en horreur et cherchait des exutoires à cette douleur. Les gens normaux ne pouvaient comprendre ce qu'il ressentait. Les jouets ne plaisaient pas à Arthur, et les jeux de sociétés se jouaient à plusieurs, ce qui ne convenait pas à un solitaire dans son genre. Mais internet et les livres pouvaient combler ce vide. Le pire restait l'école. Arthur n'y trouvait pas la stimulation intellectuelle qu'il attendait. Et il devait y passer des journées entières, car la loi l'y obligeait, et que personne ne voudrait l'embaucher s'il ne suivait pas de cursus classique. S'il avait été un génie, tout aurait été différent. Diplômé à treize ans, il aurait pu se lancer dans la carrière de son choix à peine adolescent. Arthur n'avait pas cette chance ; quoique. Cette perspective ne le séduisait qu'à moitié. Il ne savait pas pourquoi. Peut-être la suite s'annonçait-elle comme une longue médiocrité ?
Arthur accumulait une énergie négative qui se pressait contre son cœur, sorte de petite boule de rancune qui attendait le moment opportun pour crever. Il conservait son sourire adorable, sinon. Qu'il devenait doux, Arthur, à présent qu'il comprenait.
Tout cela, alors qu'il n'avait pas douze ans.
ARTHUR ENTRE DANS L'ADOLESCENCEDouze ans, l'âge de l'école secondaire en Irlande. En rentrant le soir à la maison, rien n'avait changé : ses parents étaient toujours absents, retenus par leurs devoirs respectifs – et lui devait faire les siens. Ce qui avait changé, c'était lui.
Plus discret, presque effacé, le jeune rouquin ne se faisait plus remarquer. Il avait profité du changement d'école pour se reconstruire, une sorte de renaissance, en quelque sorte. Arthur n'envisageait pas un seul instant finir à Poudlard – ce monde lui était encore inconnu.
Plus de lettres de professeurs aux parents d'Arthur. Rien que des remarques moyennement positives sur le bulletin.
Anglais – Des bases solides, mais trop de fautes d'inattention. Sa lecture des œuvres reste parfois superficielle. Il les avait lues, mais pourquoi s'embêter à exprimer ce qu'il en avait compris ? La littérature n'avait aucun intérêt.
Gaélique – Manque un peu de pratique, dommage qu'il ne participe pas plus souvent en classe. C'était pénible, ça. Autant laisser les autres travailler.
Mathématiques – Oublie parfois de faire ses devoirs, mais ses résultats restent stables. Il avait déjà fait tous les exercices du programme, il n'allait pas s'embêter à chercher où il a bien pu les mettre.
Histoire – Semble éprouver un certain désintérêt pour cette matière, mais ne gêne pas son apprentissage. Quoi de plus ennuyeux que l'histoire une fois qu'on la connaît, sincèrement ?
Géographie – Un peu plus d'application serait apprécié, mais bon élève sinon. Merci. ENFIN.
Français – En progrès ! Ses connaissances de la grammaire sont sûres. Quelle langue illogique, parfois, c'est un véritable défi. C'est amusant. Parfois.
Instruction civique – Excellent élève, le meilleur de sa classe. Un exemple. Logique. Tellement logique, vous savez ?
Mais ses parents lui pardonnaient ce relâchement, qui constituait un progrès par rapport à la turbulence de l'enfance. Ils se rendaient bien compte qu'Arthur s'épanouissait, à présent qu'il avait l'occasion de traiter avec les autres élèves en égal. Il se sentait libéré d'un poids invisible dont il n'avait jamais eu conscience jusqu'alors, mais qui avait toujours pourri sa vie. La boule de rancune refusait encore de fondre, mais elle ne pesait plus vraiment. Arthur se sentait fort, ou plutôt, il commençait à appréhender sa propre force. Celle de berner son monde. Celle de construire un empire souterrain dont il serait le maître.
En classe, Arthur s'imaginait tous les contrôler en secret. Comme si la moindre de ses actions – celle de lever son stylo ou de tourner la tête vers la fenêtre – avait une répercussion sur les autres. À cette pensée, il ne pouvait s'empêcher de laisser échapper son rire cristallin – et s'excusait aussitôt quand il se rendait compte que tout le monde l'avait entendu.
Mais à l'époque, ces manipulations relevaient d'un jeu dont Arthur seul avait le secret. Il s'y adonnait avec l'énergie d'un enfant, car c'était peut-être la seule chose qui l'amusait vraiment. Il y croyait parfois, et rougissait d'y croire. Il ne pouvait pas être autre chose qu'un gamin, n'est-ce pas ?
Du moins, c'était avant qu'Arthur prenne conscience de sa nature de sorcier.
ARTHUR À L'ÉCOLE DES SORCIERSUne lettre, soigneusement cachetée, adressée à son nom, était arrivée un matin pour lui annoncer son admission à Poudlard. Arthur avait bien eu du mal à y croire, d'autant plus que ses recherches sur internet ne donnaient aucun résultat. Cette école mensongère n'avait jamais existé. Persuadé d'être victime d'un canular, Arthur l'avait jetée, et n'y avait plus pensé.
Mais la lettre était revenu, plusieurs fois, parfois dans des circonstances étranges. Le facteur affirmait ne pas avoir déposé cette lettre, et personne ne s'approchait de la boîte aux lettres sur les images filmées par la caméra de surveillance qu'Arthur avait mise en place pour coincer son harceleur. Les lettres apparaissaient comme par magie... tiens, justement, Poudlard n'était-elle pas une école de magie ? Arthur ne devait-il pas y croire ?
Je sais, cela paraît peu probable, en particulier pour un esprit aussi rationnel que celui d'Arthur. Il envisageait des dizaines de contre-exemples prouvant que Poudlard
ne pouvait
pas exister, tous bien sûr totalement explicables par la magie. Les indications pour se rendre au chemin de Traverse puis à la voix 9 ¾ achevèrent de convaincre Arthur qu'il était bien un sorcier.
Woaw.
C'était un enfant de quatorze ans qui avait franchi les portes de la Grande Salle il y a deux ans. Dans ses yeux se reflétaient les chandelles flottant dans le ciel... enfin, le plafond. Il désirait partir à l'exploration du château immédiatement, confirmer pour la cinquantième fois au moins qu'il était bien un sorcier, et laisser éclater sa joie par son rire innocent. Mais Arthur était impressionné, presque timide. Il était devenu rouge lorsqu'il s'était approché du Choixpeau. Sacré Choixpeau. Avait-il compris qu'Arthur n'était pas véritablement un roublard ? Avait-il compris que son intelligence était à la mesure de sa naïveté, laquelle était très grande ? Oui, sans doute, car il avait fait le bon choix en envoyant Arthur à Serdaigle. Car ce menteur-là ne se rendait pas compte de ce qu'il faisait.
Quelques mois plus tard, un groupe nommé les
duellistes illégaux commençait à se faire connaître. Personne ne savait qui avait fait de ce groupuscule peu connu l'une des institutions spontanées phare de Poudlard. Les spéculations allaient bon train. Certains accusaient déjà un certain Lancelot, sans tout à fait y croire. D'autres noms couraient parfois sur les lèvres des élèves. Mais bizarrement, jamais celui d'Arthur. Qui irait soupçonner ce garçon maladroit et naïf qui semble plus manipulable que manipulateur ?
Dommage. Vous y étiez presque.
Et Arthur sourit.
Et la boule de rancune, elle, avait enfin disparu.
Et sa vraie nature, elle, était enfin devenue opaque.