Les commissures de ses lèvres s’étaient étirées en un désagréable sourire ; Il était d’un mordant tout à fait charmant. Cela justifiait donc qu’elle l’ait choisi lui plutôt qu’un autre. De l’avis de Rosabel, il n’existait rien de plus ennuyeux que ces compagnies trop sophistiquées, trop conventionnelles, trop prévisibles, trop
chic. Rosabel aurait encore dit qu’un gentleman envers sa cavalière se devait d’être d’une bienséance monotone et inintéressante qui si elle ne manquait pas à toutes les convenances de la haute société faisait en revanche agoniser la malheureuse dans une morosité effrayante et oisive. Elle fut ravie d’échapper à cela. Hermès devait l’ignorer, mais il était pour Rosabel ce soir une véritable petite perle rare qui méritait toutes les attentions. Elle comprit à la première réplique que cette soirée s’annonçait plus captivante que prévu. A dire vrai, maintenant qu’elle venait de se dégoter un nouveau passe-temps, elle oserait prétendre que toute cette superficialité lui avait manqué. Mais ce qui excitait d’autant plus Rosabel, bien au-delà de cette joute verbale, c’était bien la perspective de tous ces regards qui convergeraient bientôt dans sa direction dès qu’elle attirerait son indécent cavalier sur la piste de danse. Elle se délectait déjà du scandale. Non pas que s’afficher avec un enfant de la Plèbe soit suffisant, somme toute il avait une façon de se tenir tout à fait correcte, seulement, elle connaissait assez la réputation de celui-ci pour s’assurer un moment mémorable ainsi qu’un esclandre à la hauteur de sa renommée.
Tapotant d’un doigt sa cigarette pour en faire chuter les cendres, elle observa son petit manège tandis que ses lèvres imbibaient encore leurs marques rouges sur la bordure de la coupe de cristal. Elle se délecta d’une première gorgée sans ne jamais dévier son jeu de regard des manigances de son nouveau cavalier qui achevait son breuvage. Elle eut l’arrogance de trouver son geste ridicule.
A qui croyait-il s’adresser ? Rosabel, regretter ? Balivernes ! C’était encore mal la connaître. Elle savait ce qu’elle désirait et surtout dans quelle fin l’utiliser. Qu’il ne doute pas à son tour qu’elle pouvait se montrer redoutable.
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Quelle tristesse de ne pas savoir savourer les saveurs les plus délicates. Trop délicates sans doute pour ton gosier de prolétaire je présume.Et le reproche n’en était pas tant un, comme les mots flirtaient avec un fragment énigmatique de sourire. Seulement, Rosabel était accoutumée de ces réflexions détestables qui si elles portaient toujours un fond de vérité ne visaient pas toujours à révéler une faiblesse, sinon souligner l’amusement de celle qui les prononçait. Hermès était hautement indiscipliné. Ce qui ne suffisait pas à le qualifier de rustre, car Rosabel avait une assurance : le comportement du garçon avait au moins le mérite d’être mesuré. L’idée qu’il ait le désir de l’agacer à son tour ne lui avait pas paru saugrenu, sinon tout à fait plaisante.
Enfin. Il n’empêche que le meilleur champagne du monde venu tout droit de France méritait des manières autrement plus distinguées. Ce que Rosabel s’appliqua à lui donner en parfait contraste avec le rustique de son prince d’un soir.
Remuant son verre d’un geste du poignet, elle partit enfin d’un léger rire, plus dédaigneux que plaisant.
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Ton ignorance est adorable et te rendrait presque séduisant. Mais il va falloir faire mieux que ça pour m’impressionner.Sitôt dit, elle imita le jeune homme et fit disparaitre, glisser lentement une rivière dorée le long de sa gorge déployée. Et même ainsi on aurait dit que la façon dont Rosabel finissait son verre avait un quelque chose de fascinant. De ce moment où le cristal avait caressé sa bouche jusqu’à celui où il s’était retiré pour laisser la place à cette langue audacieuse venue lécher dans un sensuel déroutant une goutte nichée au coin d’une lèvre, à un tel point qu’il aurait semblé que cette bulle pétillante s’y serait logée dans ce seul but.
Et elle eut ce regard tout à fait équivoque, un simple haussement de sourcils bref net qui suggérait un
et toc silencieux mais bien suffisamment éloquent pour qu’on saisisse la provocation.
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Comme si je ne savais pas m’occuper d’un ridicule excès de testostérone… Ne t’inquiète pas chou, je te punirai bien assez tôt.Qu’on se le dise. Rosabel n’était pas comme toutes ces gentes demoiselles trop précieuses pour se laisser aller à un abus, un écart, un excès, une folie. Et tout en elle, de ses mimiques en passant par sa toilette outrageusement luxueuse, à ses manières parfois sulfureuses, ses mots acerbes, son venin, son allure, sa façon d’être, cette audace, tout, tout criait que Rosabel n’était ni vulgaire ni prude mais bien
osée.
Elle dévisagea le jeune homme avec une effronterie sans borne, et sans dévier la trajectoire de ses pupilles sombres, elle tendit un bras par-dessus la rambarde du balcon, maintint sa coupe vide au-dessus du vide, quelques secondes, de sursis, les mêmes qu’elle lui laisserait lorsqu’elle en aurait assez de lui avant de seulement s’en débarrasser, puisqu’il ne lui était rien, puisque cette coupe ne lui était rien. Enfin. Démonstrative, ses doigts osseux desserrèrent simplement l’étreinte et l’exorbitant cristal disparut brusquement dans les abîmes sans fond de la nuit.
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Tu ne sais pas à qui tu as affaire, mon cher. Il est grand temps que tu l’apprennes. On entendit comme un bruissement, le frottement du tissu glissant contre le marbre, à moins qu'il ait s'agit d'un soupir, d'un éclat voluptueux depuis sa bouche charnue, sa longue cigarette qui jouait toujours entre son index et son majeur ; Rosabel se permit une impétuosité, se rapprochant du jeune homme jusqu'à franchir cette barrière intimiste nommée à juste raison espace vitale, elle vint coller son visage à quelques centimètres de l'autre. L'excitation crevait son souffle.
Elle fit mine d'arranger son vêtement, envoyant ses ongles en campagne répandre son toucher, ses
odeurs sur ce qu'elle considérait comme
sien pour quelques heures. Petit silence. Elle pencha légèrement sa tête dans le cou du garçon et respira sans honte le parfum, l'
essence, jusqu'à ce geste déplacé qui arracha un râle d'indignation de l'assistance encore présente, du dépôt, du toucher, du contact presque langoureux du galbe de ses lèvres sur la chaire.
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Mieux vaut que tu sois à la hauteur de ce champagne que du parfum que tu portes ce soir. J'aime l'ivresse, alors je compte sur toi pour me rendre ivre. Alors finis ton verre, Hermès, et savoure-le bien parce que je vais te faire passer la plus longue soirée de ta vie et aussi la meilleure. Souviens-toi de ça lorsque tu viendras réclamer ma compagnie à Poudlard. Son sourire carnassier s'éloigna enfin du lobe, et elle recula de quelques pas, son regard déviant tout à fait de cette entité, snob, une main sur sa taille, l'autre s'emparant d'une nouvelle coupe elle pivota et fit face à la pénombre environnante qui se traînait à leurs pieds et se poursuivait dans le lointain.
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Maintenant tu as une raison pour trinquer.