Histoire.
« Quand j'étais enfant on déménageait beaucoup. On a été dans plusieurs pays. »Régulièrement, la mère de Leoti était envoyée en mission à l'étranger pour environ deux ans. Son mari et sa fille l'accompagnaient. Puis à la fin de la mission, ils revenaient dans leur petite ville, pour quelques années. Leoti avait gardé contact avec quelques uns de ses amis d'Angleterre, surtout parce que ses parents connaissaient les leurs. Et ceux-là, elle leur parle encore jusqu'à aujourd'hui. Les autres, pas vraiment.
Dans une si petite ville, tous les gamins de 15 ans se connaissent quasiment depuis leur naissance. Leoti avait dans ses relations avec eux de gros blancs. De longues séquences de non-existence. Condamnée au rôle de « new kid in town ».
« J'étais pas super bien, au collège. Alors j'ai arrêté d'y aller. »En réalité, ce n'était pas si simple.
Elle n'était pas super bien, au collège, pour les raisons données. Mais elle avait quelques amis. Dont
un. Et c'était bien là tout le souci.
Comptant sur eux et surtout sur lui, elle ne cherchait à connaître personne d'autre. Le tout, en
lui parlant tous les jours, par messagerie instantanée. Plus à lui qu'à tous les autres — tous les autres réunis.
Il n'y avait que lui.
Il lui disait qu'elle était jolie, il l'appelait « petite femme », elle qui semblait si garçonne qu'elle en rougissait de gêne et de plaisir.
Elle avait quinze ans et lui dix-sept.
Il lui disait — mais vous connaissez sûrement — qu'elle était « incroyablement mature,
pour son âge. »
Il lui disait exactement tout ce que tous les types comme lui disaient à toutes les filles comme elle, et ça n'avait pas seulement marché :
Ça avait couru.
Leoti y avait cru.
Elle lui disait tout. Tout le temps. Son téléphone caché dans sa trousse, elle lui envoyait des SMS incessants. Il lui disait qu'il trouvait ça touchant. Leoti lui parlait jusque tard dans la nuit, et quand ils se voyaient elle se lovait dans ses bras.
Leoti l'aimait sincèrement, ce garçon, sans vraiment s'en rendre compte.
Il a fallu pour qu'elle sache qu'il cesse de lui parler, de chercher à la voir, à l'avoir dans ses bras, progressivement, sur de longs moi, et que pour elle la Terre semble s'arrêter.
Il y avait eu quelqu'un, et puis plus personne.
Il y avait eu quelque chose, et puis plus rien.
Elle a très mal supporté ce grand vide et cette grande nouvelle solitude.
L'impression de soudain peut-être ne plus exister,
et personne ne s'en rendait compte ?
Plus personne ne la voyait.
Leoti s'était éteinte à la surprise de tous ceux qui l'aimaient. Elle était devenue négative. Dans le vide, dans le manque, incapable de rien remplir, rechignant à rien donner.
L'indifférence lui devenait agressive,
l'esseulement étouffant,
l'abandon une sensation omniprésente et insupportable.
Elle a cessé d'aller au collège, et a passé à domicile le dernier trimestre de sa scolarité...
« J'avais gardé mon carnet de correspondance et j'entrais au collège les lundis soirs pour les séances d'escalade.
J'avais gardé des amis ! On se parlait souvent. On se voyait les lundi soirs, aussi. Et pas seulement. »... De sa scolarité normale. Mais nous y reviendrons !
Leoti et ses amis grimpaient aux falaises de la région ensemble. « Ils » étaient moins nombreux qu'avant. Il fallait enlever de la bande son doyen, ce fameux garçon, et deux filles dont l'une était à présent en couple avec lui.
Les autres étaient assez surpris que les choses se soient passées ainsi, mais comme le disait Leah, la fille aux étoiles de mer, « la dorure passe, le cuir reste », ou plutôt : « les enflures passent, les vrais restent », et heureusement pour Leoti, son groupe n'éclata pas et elle continua de le voir, jusqu'à la fin de l'été.
Car, à la fin de l'été, tout fut bouleversé.
« Quand j'ai reçu ma lettre de Poudlard, je n'y ai pas cru... Mes parents, n'en parlons pas. Mes parents sont des Moldus. »C'était à la fois salvateur et inattendu. Inattendu, pour des raisons évidentes. Les parents de Leoti ignoraient tout de la magie, et personne ne les avait prévenus du monde auquel appartiendrait leur fille. Elle avait bien eu quelques épisodes de bizarrerie, et pour cela elle avait vu des psys qui avaient trouvé l'enfant au demeurant saine et normale — les épisodes furent classés sans suite.
Salvateur, parce que ça a pris tellement de place dans sa vie et en si peu de temps, qu'elle en oubliait l'Autre.
C'était triste, aussi. Triste, parce qu'elle était amenée encore une fois à quitter ses amis, et cette fois en ignorant la date du retour.
« Tu parles ! Leur faire accepter, ça a été dur... Fallait d'abord que j'accepte moi-même ! Enfin, ça donnait du sens à des trucs qui l'étaient arrivés, on pensait que j'avais des délires ou des hallucinations, je... Crois que je préfère être magicienne. »Finalement, Leoti décida de partir, et finalement ses parents acceptèrent. Sa mère lui a dit :
« J'ai toujours su que tu avais quelque chose, mais alors ça, je ne l'aurais jamais cru. »
Et à la gare, ils lui avaient crié :
« On t'aime ! »