Have you got colour in your cheeks?
Do you ever get that fear that you can't shift
The type that sticks around like something in your teeth?
Are there some aces up your sleeve?
Have you no idea that you're in deep?
La statue me fixait de tout son orgueil, perchée au moins une tête au dessus de moi. Pourtant, je ne bougeais pas d'un pouce, les pieds résolument ancrés dans le sol. Qu'importe ses œillades perçantes qui essayaient de se planter dans les miennes, je ne partirais pas. Bien sûr que mon uniforme vert et argent n'avait rien à faire devant la salle commune des Serdaigles. D'ailleurs, ce fichu volatile de pierre n'avait même pas daigné me poser une de ses énigmes sans queue ni tête. Peut-être qu'il ne me croyait pas capable d'en résoudre. Ou peut-être tentait-il de protéger ses petits agneaux de mes griffes. Car je devais admettre que j'avais un don certain pour me mettre tous les bleus à dos. Tous sauf un. L'exception à la règle, un mystère à lui tout seul.
Et c'est justement pour lui que je me tenais là, les épaules droites et les prunelles pleines de dédain à l'égard de ses camarades de classe qui s'engouffraient dans leur maison comme une colonie de fourmis. Des parasites, des rats de bibliothèque sans âme. Voilà ce qu'ils étaient pour moi. Mais je devais supporter de les avoir dans mon champ de vision sans briser leurs jolies mâchoires, si je voulais éviter de me retrouver en retenue. Car tout devait être parfait. On n'avait pas tous les jours vingt ans.
« Amaelio », je soupirais presque de soulagement , en voyant ses boucles blondes reconnaissables entre mille se rapprocher de moi. « Toi et moi, on se casse d'ici. » Et sans lui donner la moindre explication ni lui accorder le choix du refus, je l'attrapais par le poignet et le tirais loin de cette marée de gens insignifiants. Lui seul importait, ce soir.
Menant la marche, je l'avais entraîné vers le passage secret le plus proche, laissant les ténèbres se refermer sur nous. Pourtant, je ne ralentissais pas mon rythme, le pas décidé et les lèvres résolument closes pour ne pas gâcher la surprise. La moindre parole en trop aurait pu lui donner un indice sur la nature de notre escapade.
Quelque part, c'était égoïste de ma part et je le savais. J'aurais dû lui demander s'il avait des plans, au lieu de l'arracher aux siens comme on dérobe un trésor. Mais les souvenirs que j'avais l'intention de faire remonter à la surface ne regardaient que nous et personne d'autre.
« Après toi », je finis par lui souffler, arrivé devant la taverne aux aspects douteux. C'est vrai que ça ne payait pas de mine, et qu'il n'était franchement pas recommandé de traîner en ces lieux passé une certaine heure. Mais rien n'était plus excitant que de frôler le danger. Alors sans plus attendre, je m'engouffrais à l'intérieur, la tête haute et les épaules droites.
Ce que j'appréciais tout particulièrement dans ce genre d'endroits, c'est que je pouvais y être qui je voulais. Mon nom était lavé et oublié, et je n'étais plus qu'un inconnu. Ici, j'aurais aussi bien pu être un prince qu'un hors-la-loi, personne ne viendrait me dire de respecter le couvre-feu. Je ressemblais certes à un élève mais les apparences étaient trompeuses, dans un monde où la magie pouvait changer les visages ou modifier les souvenirs.
La table était un peu en retrait, faiblement éclairée par une lanterne aux motifs démodés. Et à peine assis, des effluves mêlées de lavande, de musc et de tabac froid vinrent me chatouiller les narines. Pourtant, le décor m'intéressait peu. Cette nuit, mes yeux étaient rivés sur mon invité. Et rien ne pouvait me sortir de cette bulle invisible qui venait de se former autour de nous. Pas même la cacophonie des voix de ces ivrognes qui s'étaient découverts chanteurs le temps d'une soirée.
Lorsque le serveur passa prendre nos commandes, je remarquais à peine que la moitié de son visage était défiguré à coup de griffures et morsures en tout genre.
« J'espère juste que tu cours vite. » Le ton était vague, presque amusé. Je devais admettre que l'idée de fuir cet endroit étouffant pour aller on ne sait où avec Amaelio était plaisante. Pire encore, j'en oubliais que j'avais moi même apporté de quoi payer nos collations, faisant tinter nos verres avec un peu trop de précipitation.
« Encore un dernier souhait à exaucer, avant de changer de décennie ? » Les yeux dans les yeux, avant de boire le tout d'une traite. Je n'étais pas superstitieux, mais je n'étais pas non plus prêt à dire adieu à ma vie sexuelle durant sept longues années.