Wait until he comes [Rief]

Assise à la droite de Dean, je mangeai ma salade jetant quelques regards dégoûtés au mec chez les Gryffondors qui mangeait comme un ogre ses cuisses de poulet. J’avais l’impression de regarder l’archétype du seigneur médiéval qui postillonne sa nourriture et qui se gave jusqu’à frôler la crise d’appendicite. Au fond de moi, j’espérais qu’il s’étouffe avec son jus de citrouille pour rigoler un peu. N’ayant pas mes cours de secourisme, on ne m’en voudrait pas de ne pas l’aider.

Je ne fixais pas la table des Gryffondors par choix, loin de là, j’attendais que Kiki daigne faire acte de présence au repas du soir. Son absence m’inquiétait car la nourriture et mon frère vivait une histoire d’amour de longue date. Qu’il manque un repas ne pouvait signifier qu’une chose; une de ses idiotes idées le retenait quelque part. Un mouvement incongru se produisit juste devant mes yeux et je ne pus que suivre du regard Albert qui alla parler avec M’sieur Fitz. Le prof le tira par le bras et je sus immédiatement que ça concernait mon frangin. Mon instinct me le dictait. Par les caleçons magiques de Merlin.

Dès le retour d’un Albert solitaire, je laissai tomber ma fourchette pour me lever et passer par-dessus la table pour rejoindre le lion. Il tergiversa un instant et cracha le morceau lorsqu’il s’aperçût que je ne le libérerais pas tant qu’il ne me disait rien. Je pouvais me transformer en Hulk quand ça concernait mon frangin. J’appris que Kiki avait perdu son sac dans la Forêt interdite suite à un malencontreux accident lors de leur entraînement de l’après-midi et bien sûr, mon jumeau, comme le crétin sans cervelle qu’il était, avait décidé d’aller le chercher seul.

« Bordel de merde »

Je n’attendis pas un instant avant de prendre ma décision. Forêt interdite ou non, j’allais le sortir de là pour lui donner un bon coup de pied dans le derrière. Je réajustai ma cape sur mes épaules avant de sortir dans le grand hall. Ce fut là que je rencontrai mon premier obstacle : Rief Irving. Si je me faisais toute petite, peut-être qu’il ne me remarquerait pas ou peut-être que je pouvais tenter le camouflage à l’Assassin Creed. Malheureusement, il n’y avait aucun groupe de passant pour me fondre à l’intérieur et je me retrouvai devant lui, ne sachant pas trop quoi dire. Du coup, je tentai l’approche je-passe-sous-ton-bras-comme-si-de-rien-était.

Tel Gandalf face à Balrog, Rief s’interposa entre moi et la porte pour m’empêcher de continuer ma quête vers la forêt interdite. Je songeai à le pousser afin de me frayer un chemin, mais je doutais de l’efficacité de cette tactique. Pas que le préfet était comparable à Hulk, mais il restait un mec plus grand que moi et je n’étais pas ce qu’on appelait communément une femme forte. Dans un ultime effort, je plongeai mon regard dans le sien tout en essayant d’en chasser l’anxiété qui me rongeait.

« Oh Hey Rief ? Ça va ? Cool… moi aussi. » Je me penchai pour regardai par les grandes portes restées ouvertes. Le professeur de défense avait déjà disparu dans l’obscurité et mes chances de le rattraper s’amenuisait à chaque seconde. Je devais me libérer de Rief et vite. Lui dire que je comptais me rendre dans la forêt interdite n’était en aucun cas envisageable. Le garçon restait collé au règlement et comme le nom l’indiquait, les élèves avaient l’interdiction d’y pénétrer. La meilleure solution était de rester le plus vague possible.

« Oh, il ne se passe pas grand-chose, pourquoi tu t’inquiètes sérieux. Tout va bien. Je vais seulement chercher Kieran. »

Ma voix m’avait trahi et je toussai pour imiter un début de grippe. Je n’essayai même pas de lui sourire car j’étais certaine que le résultat serait comparable à un rictus du Joker. Et puis, je souriais que trop rarement. Connaissant un tant soi peu le garçon en face de moi, je doutais qu’il voudrait m’accompagner. Pourtant ce n’était pas possible car il ne voudrait jamais entrer dans la forêt avec moi. Le choix était ultra difficile. Puis j’eus un éclair de génie. Dans des situations désespérées, je devais prendre des solutions désespérées. L’une d’elle se trouvait dans la poche de mon sac après et y était restée depuis une de mes aventures avec Kiki.

« Oh regarde, le voilà ! » dis-je pour détourner son attention. Le temps qu’il regarde ailleurs je plongeai ma main dans mon sac, sortis la bille fumigène et la fit éclater au sol. Telle une ninja, je pris les jambes à mon cou et fonçai droit vers le parc. Désolée Rief, mais mon frangin à besoin de moi.

Ce fut en vraie merde que je laissai Rief derrière moi pour foncer dans l’obscurité. Mon lumos éclairait à peine le chemin qui défilait sous mes pieds, mais j’avançai toujours droit devant moi. Loin derrière moi, ou n’était-ce qu’une illusion de mon esprit, j’entendis mon aîné m’appeler. Je ne pus m’empêcher de jurer mon mécontentement. Sérieusement, les gens pouvaient-ils se montrer idiots quand la situation le nécessitait ? Non, bien sûr, ils étaient intelligents uniquement pour m’incommoder. Je tentai une accélération malgré mes poumons en feu. J’étais si proche et en même temps si loin de mon but.

Soudain, j’eus l’impression de frapper un mur. Une force invisible m’empêchait de bouger le moindre centimètre et le désarroi me happa de plein fouet. Non. Rief ne pouvait pas me faire ça. Le garçon prit son temps pour se mettre dans mon champ de vision et je vis bien la colère sur son visage. Heureusement, il ne tarda pas à lever le sortilège me permettant de retrouver ma liberté de mouvement.

« Emmène-moi chez le directeur quand tu veux, mais j’ai pas le temps là. »

Les émotions prenaient le dessus et on pouvait facilement entendre la supplication dans ma voix. Lentement, je passai une main dans mes cheveux afin de retrouver un semblant de calme, mais la vision de la forêt interdite juste derrière le garçon m’empêchait de retrouver tout moyen. Kiki était quelque part là-dedans et il était seul.

« Il est là-bas » J'hurlai en pointant la forêt par-dessus l’épaule de Rief. « Kiki est perdu dans la forêt et il y a personne avec lui. S’il lui arrive quelque chose… »

Je sentis les larmes couler le long de mes joues. Mon frère pouvait se montrer chiant, puéril, indiscipliné, têtu, bizarre et complètement timbré, je ne voulais pas le perdre. C’était mon frangin et la personne la plus importante dans ma vie.

« Laisse-moi passer s’il-te-plait. J’veux le retrouver. J'veux juste le ramener sain et sauf. »

Me calmer ? ME CALMER ? Sérieusement ? Mon frère était perdu dans la forêt interdite et Rief me demandait de me calmer. Ma main se perdit à nouveau dans mes cheveux et je me retins de lui hurler au visage. Mon aîné ne semblait pas comprendre entièrement la situation et le temps qu’on perdait à discuter sur des futilités augmentait les chances que je ne le revois jamais.

« La chance y changera rien. J’suis même pas certaine qu’il sache où est le nord. Il y a déjà le M’sieur Fitz qui est parti à sa recherche et je voulais le rejoindre mais tu m’as interrompue. Là je sais plus quoi faire. Je veux pas retourner au château Rief, on fait que perdre du temps. Et le directeur voudra le renvoyer. Kiki a déjà fait trop de merdes cette année. »

Mon bon sens était parti prendre des vacances depuis bien longtemps. Tout ce qu’il restait dans ma petite tête c’était la panique et la peur. Le regard braqué sur la forêt interdite, j’espérais voir en surgir Kiki et son sourire stupide. Mais ça aurait été trop beau pour être vrai. Soudain, très loin à l’intérieur de la forêt, je crus distinguer une lumière qui n’avait rien de naturel et ce n’était sûrement pas dû à des extraterrestres.  

« Kiki ! Rief, il y a eu une lumière ! Faut y aller ! Maintenant !  Il doit avoir besoin d’aide. »

J’avançai pour m’accrocher à lui. Il était le dernier rempart entre moi et cette maudite forêt interdite. Mon regard le suppliait d’accepter, mais il était l’élément rationnel dans cette histoire. Même en l’implorant, je m’attendais à un nouveau refus.

D'un autre côté, j'entendais la voix de 'Pa qui répétait, à Kiki et à moi, qu'on devait toujours être là l'un pour l'autre et qu'il n'y avait rien de plus important que sa famille. Ça et les amis, nos rêves et la trilogie du Seigneur des anneaux.

« 'Pa voudrait que j'aille le chercher. Je le sais. Il m'a toujours dit qu'on devait se protéger l'un l'autre. »

Rief allait accepter. Il le devait. Je le vis se retourner et se mordiller la lèvre hésitant encore sur la bonne décision à prendre. S’il tardait trop, je lui jetterais sans remord un stupéfixe afin de libérer le passage. Je me trouvais patiente de ne pas l’avoir déjà fait. C’était comme dans les jeux vidéos lorsque nous devions regarder une scène entre des personnages, mais qu’il y a urgence. L’alarme en fond sonore, le stresse de se faire chopper par les méchants et que nous sommes sur le point de sautiller d’impatience sur le sofa. Nous pouvions bien enfoncer le carré aussi souvent que nous le voulions, la scène n’allait pas plus vite. Dès qu’il planta son regard azuré dans le mien, je sus immédiatement sa décision.

« D’accord d’accord. Ce que tu veux, mais allons y s’te plait. »

Sincèrement, il pouvait bien me demander ce qu’il voulait, je ne ressortirais pas de cette forêt sans Kiki. Sans plus attendre, je le dépassai pour rejoindre la lisière de la forêt et finalement, devant cette immense masse noire, j’avais une de ses peurs monumentales. Pour mon frangin, je resserrai ma main sur ma baguette et pénétrer dans l’obscurité à la suite de Rief.

« Lumos maxima » répétais-je après lui.

Ce fut un bien maigre effort d’éclaire notre chemin. Nous ne voyons pas beaucoup plus loin autour de nous et je me rapprochai du préfet pour plus de sécurité. Mes doigts trituraient le bas de ma manche afin de ne pas attraper celle de mon compagnon.

« Ouais, du bruits, c’est une bonne idée… » Je pris mon souffle avant d’hurler. « KIKI ! KIKI, TU M’ENTENDS ? »

J’aurais répété son nom à l’infini et plus longtemps encore si un bruit de branche ne m’avait pas fait me retourner. Là, je ne pus réfrénai mon élan et j’attrapai le poignet de Rief pour y enfoncer les doigts. Je n’étais pas la brave ou la courageuse dans la famille. Les films d’horreur, je les regardais même si je détestais ça et je finissais toujours par aller dormir avec Kiki après un cauchemar. Le nombre de fois que j’ai rêvé qu’on me poursuivait avec une scie à chaîne dépassait l’imaginable. Et c’était toujours dans un décor qui ressemblait à celui de cette maudite forêt interdite. La baguette pointée devant moi, dos à dos avec Rief, je tendis l’oreille et scrutai la noirceur pour découvrir ce qu’il s’y cachait.

« Dis moi qu’on est pas la pleine lune aujourd’hui… »

« Jamais, on continue et on retrouve Kiki »

Retourner. Quelle idée ! Repartir signifiait abandonner mon frangin à son triste sort et jamais je n’accepterais de le laisser derrière moi. Je le chercherais toute la nuit s’il le fallait, mais je sortirais de là qu’avec lui. Au diable toute ses créatures magiques plus atroces les unes que les autres. J’étais championne de Time Crisis 4 et je me défendrais avec l’énergie du désespoir. D’accord, je n’avais pas Kiki dans mon équipe, mais j’avais Rief et je devais avoir confiance en lui. Si le directeur l’avait choisi comme préfet, il devait bien y avoir une autre raison que son côté relou.

Le garçon attrapa ma main et je serrai la sienne afin de canaliser ma peur en ce point précis. Rief m’abandonnera pas et il était là pour moi. Je lui étais reconnaissante, mais j’aurais préféré que ce soit celle familière de Kiki.

« Faut rester visible. Qu’est-ce qui peut nous attaquer. Des Acromentules et des centaures ? » J’en ris nerveusement. Le sort de mon aîné ne révéla rien. « Personne… »

Je ne pus cacher la déception dans ma voix. Ç’aurait été tellement merveilleux qu’il soit là et qu’il déboule sur nous en hurlant comme un fou et en bondissant sur nous. Nous devions reprendre notre chemin et je tirai sur la main de Rief pour lui signaler que nous continuons notre chemin. Pas la peine de rester là comme deux sardines dans l’attente de se faire manger.

Dès les premières paroles, je pointai ma baguette dans la direction de la voix pour lancer un stupéfix. Fuck ma vie, j’allais mourir. Je le pensais réellement jusqu’à voir cette maudite chouette du directeur volter au dessus de nous. Avant même que je puisse protester, nous nous retrouvâmes à nouveau devant les grandes portes du château. Non… elle ne pouvait pas me faire ça. Elle ne pouvait pas nous ramener comme ça. Nous avions une raison d’être dans la forêt. Merde le règlement…

« Noooooon. » Le désespoir m'envahit. Game over, retour à la case départ. « Faut y retourner Rief… Kiki est toujours là-bas. »

Le tenant toujours par la main, j’essayai de le faire avancer. Ça ne pouvait pas se terminer ainsi.