___Tu laisses retomber ton crayon dans un soupir. Rien à faire, tu n’y arrives pas. Oh, tu as bien essayé près d’une heure ; mais à part dessiner dans les marges de tes parchemins vierges, tu ne fais rien. Tu aimes bien ces petits dessins, même s’ils ne ressemblent à rien car tu es une catastrophe en art ; mais ils ne t’avances pas le moins du monde sur ton travail. Alors tu refermes par dépit le manuel détaillé de l’histoire de la magie avant de le remettre à sa place et de quitter la bibliothèque, ton sac sur les épaules. Tu ne sais pas exactement ce que tu vas faire, mais n’importe quoi sera plus productif que ton incapacité à te concentrer. Pourquoi ne te concentres-tu donc pas, Vanille ? Ça ne te ressemble pas. Une fois lancée dans le travail, tu plonges dans une bulle de réflexion. Mais pas aujourd’hui. Est-ce la tension qui règne au château qui te perturbe ? Est-ce ton inquiétude sur le mouvement pour séparer le monde moldu du monde sorcier qui te préoccupe ? Peut-être bien. Tu ne te laisses pas envahir par les doutes qui parcourent actuellement le monde sorcier ; mais bien sûr qu’ils t’affectent. Evidemment. Alors peut-être bien qu’ils reviennent lorsque tu fais l’erreur de laisser courir tes pensées.
___Lorsque tu t’engages dans les grands escaliers, tu te figes, secouant la tête pour chasser toutes ces pensées dont tu ne veux pas. Ça ne sert à rien de s’inquiéter pour quelque chose contre laquelle tu ne peux absolument rien faire, surtout maintenant, là, tout de suite. Alors tu expires un bon coup, relâchant toutes tes préoccupations, avant de sourire. Voilà, parfait. C’est bien mieux comme ça, tu te sens tout de suite mieux. La gaieté aux lèvres, tu descends plusieurs volées de marches avant de ne t’arrêter à nouveau. Des éclats de voix te parviennent, tout proche. Intriguée, tu te penches contre la rampe de l’escalier pour apercevoir la scène se déroulant en contrebas ; et remercie les escaliers de ne pas bouger à ce moment, car la chute aurait été magistrale. Et douloureuse.
___Ce sont les tableaux qui sont en train de monter en cacophonie, à l’entrée du premier étage ? Contre quoi ?
___Tu dévales les marches qui te restent pour rejoindre les lieux du raffut, cherchant à comprendre de quoi il s’agit ; mission impossible. Les portraits essaient tous de parler plus fort que leurs voisins, et chacun y va visiblement de son petit commentaire, indignation ou grommellement. Ce n’est pas profondément inhabituel, car il est de notoriété publique que les tableaux ont régulièrement des débats plus ou moins fondés, et souvent très animés. Mais tu es curieuse. Un coup d’œil ne coute rien.
___Ça ne coûte rien, mais ça peut être utile. Encore une fois, tu te prouves que ta curiosité naturelle est une autant une qualité qu’un défaut, si ce n’est plus. Lorsque tu arrives, tu fais face à une scène à laquelle tu ne t’attendais pas ; le centre du débat n’est pas un quoi, mais un
qui. Des insultes fusent dans tous les sens, accompagnées d’autres remarques indignées et de reproches en tout genre, formant un vacarme hébétant. Tu aurais presque pu en sourire, en rire ; quelle idée de mettre tellement de portraits côte à côte, dont les personnages n’ont rien d’autre à faire que de passer de l’un à l’autre afin de discuter, s’ils ne se contentent pas de hausser la voix à travers les couloirs. Oui, tu aurais pu, mais la personne au centre de leur indignation se trouve face à eux, tremblant. Malgré son visage qui t’es caché, plongé dans ses mains, il est indéniablement sensible au brouhaha qui s’abat sur lui. Il a beau tenter de demander le silence ; rien n’y fait. Immédiatement, une vague de compassion te traverse, et tu effaces très vite la distance entre le garçon et toi. Juste le temps de saisir quelques mots par-dessus d’autres, quelques reproches plus forts que d’autres. De ce que tu comprends, ils lui reprochent d’avoir été stupide et maladroit et de combien il devrait faire attention face aux peintures ô combien anciennes et précieuses et dont la délicatesse et l’importance est incroyable. Entre perdre ton temps à tenter vainement de parler plus forts qu’eux pour leur répondre ou agir, le choix est vite fait.
___Tu jettes un coup d’œil vers une des toiles à la hauteur de ta taille, constatant les dégâts ; et surtout, les lambeaux qui commencent à s’accumuler sans raison apparente. Ton regard passe quelques instants entre le tableau et l’élève, avant de t’arrêter sur ce dernier. Quel âge a-t-il ? Il est un peu plus petit que toi, ses vêtements sont impeccables, presque neufs. Soit il est très en retard sur sa croissance, est très soigné et a du mal avec sa magie, soit il est plus jeune. Tu choisis bien sûr la seconde option.
___Tu viens poser une main apaisante contre le bras du garçon, un sourire bienveillant sur les lèvres. Si tu as conscience de prendre un risque en le faisant, vu la magie incontrôlée qu’il crée ? Oui, mais tu ne songes même pas à t’inquiéter pour toi. Ta voix est gentille, rassurante, une brise au milieu de cette tornade.
« Hé, ça va ? Te laisse pas faire par ces vieilles peaux, elles aiment bien ronchonner contre les élèves de toute façon. »
___Les portraits se révolte de ton indifférence quant à leur sort et de ta désobligeance, mais tu n’y prêtes pas attention. Calmer tous ces râleurs ne se fera pas en un clin d’œil, et de toute façon tu ne peux pas t’empêcher de vouloir plutôt aider ce garçon.
___Tu jettes un coup d’œil à son uniforme.
« Tu es un Poufsouffle c’est ça ? Comment tu t’appelles ? Moi c’est Vanille, et je suis de Gryffondor. Je peux t’aider si tu veux, on peut essayer de réparer ce tableau pour qu’ils se taisent enfin ! »
___Tu lui souris avec douceur. Bien sûr, les tableaux continuent à s’insurger entre eux dans un tumulte désagréable. Mais tu es comme ça ; tu fais la conversation au milieu du tapage, presque comme si de rien n’était, d’un ton tranquille. C’est tout à fait normal de se présenter au milieu de portraits magiques qui insultent et s’insurgent. Je vous assure.