Histoire.
« Who died and made us stars
With our intellectual gambits
Our millionaire flair and our antics
We’re like mirrors seen through smoke »
« Vega, voici Moira. Un jour, tous les deux, vous vous marierez. »
L'enfant battit de ses longs cils, et détailla la petite fille qu'on lui présentait. Aussi brune qu'il était blond, aussi soigneusement habillée par sa mère qu'il l'était lui-même. Il savait ce que c'était, le mariage ; vivre dans la même maison pour toujours. Avec elle, puisque Père et Mère l'avaient décidé. Il retint une méchanceté impulsive au bout de ses lèvres -ce n'était pas le moment, il le savait très bien du haut de ses cinq ans. Il détaillait la petite fille -Moira- sans trop savoir que faire, puis il sentit la main de Mère pousser doucement son dos.
Il fit un pas en avant, et à défaut de meilleure idée il se pencha pour poser un baiser maladroit et sucré sur la joue ronde de la petite fille.
« Bonjour Moira, » répéta-t-il consciencieusement, « Je m'appelle Vega. »
☆
Les étés avaient le goût des embruns et l'odeur du sel. Tous les étés, Moira et lui s'était retrouvés en Cornouialles, où leurs parents respectifs possédaient un manoir. Avec l'âge, Vega en savait un peu plus sur sa fiancée. Son sang était moins pur que le sien, mais sa famille était puissante et faisait honneur au monde des sorciers. Ils jouaient ensemble, riaient, s'insultaient... avec ce petit quelque chose en plus qu'ils n'auraient avec personne d'autre ; la certitude d'être ensemble à l'avenir, la conscience que les intérêts de l'un finiraient par être ceux de l'autre.
☆
« À ce propos, Vega... »
L'adolescent se figea immédiatement, ses cheveux blonds voletant autour de ses épaules avant de se fixer. Entre inquiétude et irritation, il passa en revue ses caprices des derniers jours. Peu nombreux. Et dans l'immédiat, il n'avait rien fait de
mal. Après avoir reçu sa lettre de Poudlard, il était venu s'enthousiasmer auprès de Père et Mère. Rien de mal, vraiment. Mère avait accepté de l'accompagner au chemin de Traverse pour s'acheter de nouvelles robes, et il avait fait des pronostics sur sa future maison et celle de Moira. Rien de mal.
« Nous allons annuler tes fiançailles. »
La nouvelle tombait de nulle part, comme elle l'avait fait neuf ans plus tôt. Étrange comme des paroles pouvant changer le cours d'une vie avaient l'habitude de se cacher au détour de phrases anodines.
Une fois encore, Vega ne savait pas comment réagir.
« ...Oh, » finit-il par émettre.
Le parchemin se froissait entre ses doigts, malgré les efforts qu'il faisait pour maîtriser ses phalanges raides. Père prenait son temps -comme il le faisait toujours- et soupira, comme s'il lui en coûtait de prendre la peine d'expliquer d'avantage.
« Sa famille n'est plus ce qu'elle était. Et sans ce prestige, il n'y a pas de raison de te marier à une petite sang-mêlé d'Irlande. Nous te trouverons une meilleure femme. »
Hein ?
Hein ? Son cerveau tournait au ralentit, comme englué dans de la mélasse. On voulait lui enlever Moira,
sa Moira ? La petite fille qu'on lui avait donné l'année de la tempête, celle avec qui on l'avait fait grandir ? Et ensuite on la donnerait à quelqu'un d'
autre ?
Il battit des cils, comme si le réflexe pouvait dissiper cette foutue mélasse.
« Mais rompre un engagement de ce genre, ça doit être... difficile. Après toutes ces années... »
Neuf ans.
Neuf ans. Les deux tiers de sa vie, elles devaient bien compter quelque part ces années... Mais Père les effaça d'un mouvement désinvolte de la main.
« Ils n'ont pas voix au chapitre. Ta mère se renseigne déjà auprès des Grants, il paraît qu'ils ont quelques filles en âge de se fiancer. Profite de ta jeunesse en attendant.
- ...Oui, Père. »
Vega quitta la pièce, mû par un réflexe mécanique, la lettre de Poudlard pressée contre ses côtes, tentant de boucher l'embryon de trou noir qui s'y formait.
La vérité, c'est qu'il n'avait pas le droit au chapitre, pas plus que les stupides parents de Moira qui avaient perdu la faveur des siens. Toute sa vie n'était qu'un château de fumée que son père pouvait dissiper d'un geste. Il marcha dans le couloir, un peu hagard, les yeux tourné vers un avenir de certitudes qui tombaient en poussière.
« Do we even know who we are
Living like all life is forfeit
Like we can just go redefine it
Regardless what we broke »
Avec le recul, Moira n'avait été que la première à foutre le camps. Tout le reste avait commencé à de déliter morceau par morceau au fil des années. C'était insidieux, immatériel, un peu comme si l'on avait retiré à son âme un plancher qui avait toujours été là.
Tout foutait le camps, tout se cassait la gueule, et lui avec.
Il avait beau insulter les autres et participer à des duels illégaux, il retirait ses piercings quand il rentrait en famille pour les vacances. Il cachait ses tatouages sous ses robes couvrantes et baissait les yeux quand il croisait le regard de son père. De moins en moins vite, mais les faits étaient là.
Quand il rentrait, il n'était que l'enfant de ses parents ; une poupée de porcelaine, l'incarnation de la réussite de leur mariage et de leur capacité à éduquer un enfant. Entre les murs de Poudlard, il pouvait être lui-même. Même s'il s'avérait qu'être lui-même consistait pas mal à cracher son venin à la gueule des autres. Au moins sa tête n'adoucissait aucun prof, au moins personne ne s'attardait trop près de lui -trop corrosif, trop prétention ou trop gay au goût des autres.