in the name of love - Iris

Ils sont beaux ces matins gris, quand le monde dort, quand le monde est mort.

Le pas souple et la démarche légère, le noir de ses souliers fend le gris de la brume. Le rythme est lent. Une, deux. Une, deux. Une, deux. Daphné s'avance avec lenteur. Elle inhale. Elle exhale. Et gris, son souffle à peine visible, se confond et disparait avec la brume. Ce rideau de gris qui tapisse l'horizon. Ce voile qui rend le monde différent et l'instant particulier. Elle croît rêver ainsi. Flânant dans ce paysage doucement ethérée.

Et dans ces matins gris, quand le monde dort, quand le monde est mort, ses entrailles vibrent sous les coups d'une pulsation lente et régulière. Du son grave qu'est celui de son coeur qui bat. Alors dans la carcasse si laide des charpentes de son corps de poupée, Daphné a conscience de tous les rêves gamins dont le râle subsiste encore. Et dont la mélodie mélancolique qui chante des choses qui ne seront jamais, dessine sur ses lèvres un sourire plein de mièvrerie.

Daphné s'arrête quand le lac et ces eaux si sombres surgissent du brouillard.

Elle défait son écharpe qui tombe et se perd dans des touffes d'herbes blanches. Le froid, ses mains, son entreinte l'étrangle et ses yeux se ferment pour mieux ressentir cette morsure si familière. En elle, rien ne tremble car elle est déjà glacée. Sa peau s'hérisse pourtant et elle en observe un temps la réaction avant de se tourner vers Iris.

Iris ses cheveux bleux et ses bleues à l'âme.

Iris qui la connait telle qu'elle est vraiment. Cynique et vide. Ennuyante et ennuyée. Absurde et vaine. Iris qui est encore là malgré tout. Iris qu'elle aime du plus profond de son coeur aride.

- Iris, Iris. Penses-tu que je peux tomber amoureuse ?

Dis moi Iris. Réponds moi Iris. Abreuve moi de foutaises et renverse dans ce gouffre sans fond, autant d'espoir que tu peux. Parle, chante, dessine l'impossible car il est drôle de rêver de choses qui ne seront jamais.
Qu'il tende vers elle sa main comme il sait si bien le faire. Qu'il lui offre son épaule pleine de chaleur pour lui donner l'illusion qu'elle est encore en vie et que tout n'est pas irrécupérable.

Un rire sans joie éclate sur ses lèvres et elle fixe le garçon aux cheveux bleus. Avant qu'elle ne fasse tomber le masque et qu'elle se contente d'être ce qu'elle est vraiment ; Une poupée sans âme. Daphné se taît et ferme les yeux. Elle n'a pas vocaction à être sauvée car pour cela il faudrait qu'elle soit brisée. Mais elle ne l'est pas et ne le sera jamais.

Iris est un artiste. Il attrape l'invisible et lui donne forme. Peut-il insuffler en son ossature, une once de rêve ?

Daphné le fixe encore en silence. Il est sans doute la personne s'apparentant le plus à ce que l'on pourrait qualifier de véritable ami.

Léthargique, Daphné attend les yeux grands ouverts et la main tendue. Peu importe au fond ce que soufflera chère et tendre Iris car les aubes sont insensés et qu'elle sait rebondir sur tout. Défigurer des propos, les tordre puis les éviscérer jusqu'à en trouver un peu d'intêret. La gymnastique imposé par son ennui crevant l'y a habituée.

Deux orbes d'un noir incroyable renversent sur elle une chaleur presque surnaturelle. Les yeux d'Iris gonflés de l'affection pure et profonde s'abattent contre la paroi métallique de son être mais de ce choc soudain, n'apparait aucune fissure. Daphné est devenue imperméable depuis bien longtemps déjà et son coeur tréssaille par moment, mais a oublié comment bondir. Peut-être qu'il n'a jamais su.

L'affirmation d'Iris embrase la pénombre d'un tendre baiser. Daphné ferme les yeux et en fait un écho inlassable qu'elle fait valser dans son esprit comme une litanie. Peut-être qu'ainsi, à se gaver d'optimisme et d'espoir en barre, le flot immonde et puant de ses entrailles finira par se tarir. Mais elle n'y croit pas trop et c'est surtout hypothétique. Un et si, las, blasé, provocateur. Regardez chrétiens comme la foi ne mène à rien. Regardez chrétiens comme l'amour se désagrège sur le marbre de ma peau.

Même si c'est Iris, tendre Iris, qui le forge de ses mains abimés, pour moi et rien que pour moi. Rien n'y fait.

Daphné ne répond pas. Les doigts fins d'Iris vont chercher le blond de ses cheveux et l'observe faire en silence. Il est beau quand il est tendre et qu'il déverse son âme sur quelqu'un qui n'est pas lui. Elle l'aime ainsi ; Préoccupé et en mouvement quand il oublie ses bleus pour s'occuper d'un oisillon blessé. Paré de cette force formidable, Iris est transfiguré. Facile alors de savoir pourquoi Ophélie l'a tant aimé.

Eprise par les accents de sa réflexions, les mots d'Iris rebondissent et la nuée matinale les happe et les dévore sans qu'ils ne parviennent à elle. Si figée dans l'observation des traits de son ami ce n'est que lorsqu'il désigne son coeur qu'elle revient dans le moment.

Il y a ces doigts vers elle. Il y a cette jolie moue touchante.

- Tu crois ?

Elle rit et se fait miroir de sa joie par réflexe et par impulsion. Ses joues se plissent sous l'effort de son rictus et un éclair de malice zèbre le bleu pâle de ses yeux. D'un geste soudain elle se projette vers l'avant et aplanit la main d'Iris sous son sein. En dessous duquel bat son coeur à un rythme régulier.

- Il est lent n'est-ce pas ?

Daphné esquisse un geste vers l'arrière et détache d'elle les doigts d'Iris mais ne les quitte pas. Elle aime sa grande paume contre la sienne et leurs phalanges tendues qui s'allongent et se reflètent.

- J'ai oublié la dernière fois qu'il a sursauté.

Elle rit avec malice, avec innocence et ses fossettes se creusent. C'est gentil Iris, de croire ainsi. Et de croire pour moi alors que tu oublies de croire pour toi.

- J'ai oublié la dernière fois qu'il a accéléré.

Son bras retombe avec légèreté et dans un grand mouvement de sa jupe, Daphné se retourne vers le lac en un bref sursaut. Avant d'étendre son corps dans toute sa longueur. Ses pieds sur leurs pointes et l'axe de son corps courbé et arqué.

L'interlude ne dure qu'un court instant avant que Daphné ne se retourne. Elle décore son visage d'un air malicieux.

- Est-ce que je peux prendre une photo de toi.

Car ici la beauté n'existe qu'en un seul endroit. Il a les cheveux bleus et répond au doux nom d'Iris. Et si quelqu'un a bien le droit de prétendre au bonheur c'est bien lui. Son chère et tendre ami.