« wanna open this door » △ ft Lancelot

Comme il est troublé, Lancelot.
Il vient de comprendre quelque chose d'essentiel, quelque chose capable de remettre en question tout ce à quoi il a cru jusque là. Le drame s'est déroulé ce matin. L'heure du crime est 10h57. Un nouveau duel réussi, les succès habituels, et Lancelot, peut-être, pourrait s'enorgueillir de la popularité de son groupe, s'émerveiller de leur capacité à s'assumer une place de choix à Poudlard et mener des duels sans interruption. Oui, il pourrait se réjouir de ses compétences, à lui, à ce qu'il arrive à faire, et pourtant.
Pourtant, il a vu ce sourire s'allumer sur un visage en particulier.
Délicates lèvres de rouquin esquissant une forme de satisfaction.
Et le cœur de Lancelot s'est arrêté de battre.
(Non, ce n'est pas de l'amour, mais un sentiment d'accomplissement. Vous ne pouvez pas comprendre. Vous n'êtes pas lui.)
Depuis quand la source de son bonheur est-elle celui d'Arthur ?
Depuis quand aspire-t-il à rendre son meilleur ami heureux ?
Depuis quand a-t-il plus besoin de la satisfaction d'Arthur que de la sienne ?
Il ne sait pas ; mais cela complique ses plans. Lancelot a conçu une trame superbe, plus travaillée que la dentelle d'une toile d'araignée ; il ne saurait accepter que le moindre grain de sans vienne perturber ses desseins, et pourtant. Il ne peut pas lutter contre lui-même. Que faire s'il a tout, sauf la volonté de se hisser au sommet ? Lancelot a voulu tomber de la cime, s'il devait tomber. La chute en chemin ne saurait être une option.
(Il lutte encore, Lancelot, avec sa force vouée à la destruction.)
(Deviendra-t-il chevalier ?)
La voie du chevalier l'intrigue peut-être un peu. Parce que les secrets des autres le dérangent toujours un peu, comme une démangeaison sur sa peau. Peut-être que le mot de chevalier commence à revêtir une autre signification à ses yeux. Il sait qui est Lancelot. Ne servait-il pas un certain Arthur ? Oh, frissons.
Mais ses yeux se posent alors sur Bastia, et ses nerfs s'endurcissent de nouveau, le poussant à reconquérir son sourire suffisant. A partir à l'assaut de cette contrée que, par moments, il ne peut s'empêcher de haïr.
« Alors, Bastia, on admire les tableaux ? Je ne savais pas que tu avais du goût pour l'art. »
Et il hausse les épaules. Lui n'y connaît en rien non plus.

Quand il voit Bastia, Lancelot se sent soudain balloté par des envies contradictoires qui le mettent au fait de sa nature profondément paradoxale. Il lui arrive alors de songer au délice ressenti face à l'adversaire que l'on parvient encore à vouer au silence, ou à la satisfaction d'observer un rival entamer la lente descente vers sa propre perte. Et parfois, il lui arrive de songer bien plus à ce qu'ils peuvent avoir en commun, et tout l'intérêt qu'il y aurait à la faire tourner autour de lui. Elle serait une partenaire idéale pour une valse. Lancelot en a conscience. Comme une autre forme de duel, cela dit, un duel que l'on ne réalise pas par la magie mais par les mots, par l'attitude.
Elle est directe ; elle ne lui laisse guère le temps de s'enfoncer un peu plus dans les discours mielleux, et l'ironie abîme subitement le regard du jeune homme.
« Te voir, évidemment. »
Il sait pertinemment que c'est faux, et n'ignore pas que cette vérité est partagée entre eux deux. Sans doute est-ce pour cela qu'il s'octroie le luxe d'un tel mensonge. Parfois, cela lui fait du bien de savoir que son langage est interprété à sa juste valeur. Sans doute ne peut-il pas être manipulateur à plein temps ; il a besoin de temps de repos, qu'il ne s'accorde pas même avec son propre meilleur ami. Il se contente bien plus de ces expressions éphémères de son honnêteté. De toute façon, il ne s'aime guère en homme franc.
« Oh, dommage. Tu as pourtant tant à y gagner. » : ajoute-t-il avec une pointe de sarcasme.
Cette fois, la vérité toute crue.
Nul ne s'étonnerait de la voir se méfier d'un tel type. Pourtant, n'est-il pas quelqu'un de fiable ? N'a-t-il pas prouvé qu'il méritait son titre de chevalier, que l'on pouvait s'appuyer sur lui les yeux fermés, sans qu'il abuse de la situation (malgré ses envies incessantes) ? Ah, évidemment, Bastia, elle ne le sait pas. Elle ignore trop de choses à son propos. Mais l'ignorance la rend belle.
Mimant la naïveté, il reprend :
« Quel mystère, alors ? »
Mais il croise les bras, et se tient à ses côtés. Ce que ses mots taisent, son corps le révèlent avec subtilité. Un test, dirait-il. On ne saurait être ami aisément avec lui.

Ce n'est pas de l'amour, songe Lancelot alors que Bastia lui reproche de lui faire croire à la possibilité de ses sentiments. Son ironie se marque dans son sourire ; oh non, elle n'est pas dupe, la Serpentard, elle sait que de tels sentiments seraient hautement improbables. Et pourtant ; si elle savait. Lancelot lui rend son regard avec une douceur qui ne lui est pas coutumière. Avec une délicatesse dont on ne comprend guère le sens, car enfin, a-t-on déjà vu le jeune homme faire preuve d'attention vis-à-vis de quelqu'un ? Assurément, il ne la voit pas comme une fille, mais comme un rival. Quelqu'un susceptible de comprendre les remugles de son cœur, si tant est qu'il daigne s'en ouvrir à elle.
Alors il ne dément pas, et ne prend pas la peine de se justifier.
Qu'importe, si elle a saisi la vanité de ses affirmations ?
Avec un peu plus de sérieux, Lancelot se tourne vers le tableau. Il a conscience du regard de Bastia sur lui, mais essaie de ne pas s'en sentir dérangé. Il ne peut guère réduire au néant ce regard, en ignorer totalement l'existence. Bastia a probablement conscience de l'intelligence de Lancelot ; intelligence réelle, mais trop souvent mal employée. Il suffit de jeter un coup d'œil à ses résultats pour comprendre que son pire ennemi est probablement bien plus la flemme que la bêtise. Pourtant, le jeune homme ne prétend pas pouvoir résoudre ce mystère. Si de nombreuses personnes avant lui ont échoué à percer le mystère de ce passage, lui-même n'y parviendra probablement.
Et puis.
La voie du chevalier.
Quelle ironie est-ce là ?
Il préfèrerait arpenter la voie du roi.
« 2222, cela me fait penser à un code. Peut-être à un code utilisant des nombres premiers, comme BBBB. Sauf s'il y a un décalage. »
Il semble soudain songeur. Il a l'impression que non, ce n'est pas ça, parce que ce serait beaucoup trop simple.

Perdu dans ses réflexions, Lancelot ne capte le sens des paroles de Bastia que dans la mesure où elles répondent à ses interrogations.
Elle suit visiblement le même cheminement que lui, partant sur une idée de calcul qui ne déplaît pas au Serpentard. Et pourtant, il se dit que ce n'est pas encore tout à fait cela. Ni lui, ni Bastia n'ont vraiment de piste solide. Lancelot sait que cette quête n'est pas impossible. Encore faut-il disposer de temps, et d'une certaine dose de chance dont il se sait pourvu, mais qu'il n'a guère envie de gâcher par pure curiosité. Et le Serpentard n'est pas connu pour sa patience. Elle le sert parfois, et le lâche à d'autres moments. Tout dépend de son humeur.
Peut-être est-il trop dissipé pour réfléchir correctement.
(Cette excuse aurait au moins le mérite de le défaire de toute responsabilité dans cet échec.)
Elle semble désireuse d'abandonner, Bastia, et Lancelot décide de ne rien faire pour essayer de l'en dissuader. A vrai dire, cela l'arrange, il n'a pas particulièrement envie de réfléchir. Au contraire, il préfère la convaincre de l'intérêt d'un abandon :
« Ce n'est qu'une question banale, de toute façon. Pas un véritable challenge. » (Bien sûr, Lancelot, mais n'oublie pas que tu as baissé les bras avant elle.) « Pourquoi veux-tu résoudre ce mystère ? Parce que c'est lié à un chevalier, et que ça te fait plaisir ? »
Une lueur moqueuse fait de nouveau irruption dans le regard glacé de Lancelot. Probablement essaie-t-il de se défaire de cette prétendue voie du chevalier, pour arpenter celle du roi. Du moins dans ses rêves. Mais Bastia n'est pas comme lui, elle a ce côté sérieux en toutes circonstances qui lui fait défaut, et la volonté de s'adonner à une mission à laquelle il tente toujours de se soustraire. Parfois, remplir son devoir est une forme de lâcheté, qui permet de ne pas réfléchir au bien fondé de ses obligations. Les considérer comme absolues, c'est s'interdire de les remettre en question, les suivre aveuglément, et par conséquent, se défaire de toute culpabilité. C'est beaucoup, beaucoup trop facile.

La réponse de Bastia résonne à ses oreilles. Énigmatique.
Sa part d’humanité, c’est probablement sa lumière – ce qui la fait vivre, ce qui lui permet de se regarder dans le miroir en se disant qu’elle mérite encore d’exister. Une source d’énergie qu’elle tire d’un type de comportement spécifique. Pourtant, cela constitue un insondable mystère aux yeux du jeune homme. Qu’est-ce qu’être humain ? Est-il humain, lui qui nie ce qu’il y a de bon en lui-même, sauf en certaine compagnie, lui qui fait passer ses propres intérêts avant ceux des autres, à l’exception notoire d’Arthur White ? Cela aussi, c’est un mystère.
Lancelot ne veut pas répondre, car la philosophie n’est pas son fort, et il n’a jamais lu ses grands. Ses sources sont celles du droit magique. Il lui semble que la question de l’humanité intervient à un moment, lorsqu’il s’agit de déterminer le sort de toutes les créatures qui ne sont humaines. Trolls, gobelins, fantômes : comment doit-on les traiter ? Méritent-ils un jugement comme les autres ? Et qu’en est-il de ceux qui se fondent dans la société humaine, comme les loups-garou ou les vampires ? Décidément, cette notion est complexe. Et Lancelot est bien forcé d’admettre que c’est une question à laquelle il ne peut pas répondre. Tout cela parce qu’il a une fâcheuse tendance à dormir quand les cours ne l’intéressent pas.
Et visiblement, cette question de l’humanité ne le passionne guère.
Il se promet mentalement de faire un tour dans ses manuels quand il retournera dans son dortoir. Après tout, il veut devenir juge, c’est peut-être le moment de commencer à travailler. Cela dit, Lancelot n’est encore qu’en quatrième année. Il lui en reste encore plusieurs. Il se dit qu’il a le temps.
La regardant s’éloigner de lui, Lancelot se dit que cette distance symbolise bien leur relation. Il est bien trop différent d’elle. Il y a quelque chose de monstrueux en lui, quelque chose qui prend ses racines dans sa petite enfance. Bah, la pomme ne tombe jamais loin de l’arbre. Les parents Thompson étaient des raclures, et même s’ils se sont calmés, ils sont toujours de fort mauvaises fréquentations. Comment s’étonner, dès lors, de la façon dont tourne le fils ?
« Qui te dit que j’ai un monstre ? Moi, je suis normal. Je ne me pose pas de questions inutiles. Si tu veux mon avis… »
Avec un grand sourire, Lancelot se rapproche de Bastia et approche son visage du sien. Ses bras se portent à ses côtés, comme pour l’empêcher de s’enfuir. Elle ne doit pas lui échapper pendant cette déclaration. Elle doit plonger son regard dans les yeux impassibles de Lancelot, elle doit percevoir le sérieux qui émane d’un jeune homme qui se veut trop léger.
« Je dirais que je n’outrepasse jamais mon humanité. Après tout, j’ai accepté de t’aider. C’est que je suis quelqu’un de bon. »
De cette dernière affirmation, il n’en croit rien.
Bastia, probablement, non plus.
Il s’éloigne, les lèvres tordues d’un rictus sardonique. Oh, Lancelot, n’es-tu pas une facette du diable, au fond ? Tu ne leurres personne.
Ce n’est pas son innocence qui retient l’attention de ceux qui passent à ses côtés.
Mais bien la saveur périlleuse d’une aura destructrice, ne demandant qu’à se déchaîner.

Lancelot ne s’attend pas vraiment à ce que ses affirmations provoquent quoique ce soit en Bastia, si ce n’est du scepticisme. Elle ne peut pas croire à tout ce qu’il dit, et il ne peut certainement pas lui en vouloir. La jeune femme ne saurait cependant réagir à la proximité physique, n’est-ce-pas ? Avec d’autres filles, Lancelot en saurait certains. Mais allez savoir pourquoi, pas avec la blonde. Probablement parce qu’il ne la voit pas tout à fait comme une femme, mais bien comme un chevalier. S’il pense à elle, il lui suffit de fermer les yeux, et la vision qu’il se fait de sa camarade Serpentard est celle d’une femme en armure, majestueuse, guerrière. En fait, c’est probablement le genre de fille qui plaît à Lancelot, mais le jeune homme est loin d’en avoir conscient. Un jour, peut-être.
Son poignet dans la main de Bastia le fait sourire.
« Non, ce n’est pas un jeu, ça n’a rien d’un jeu. »
Comme il est sérieux en cet instant, Lancelot.
Plus sérieux que quand il fait ses devoirs.
Elle le lâche, ce qui lui évite de devoir se dégager. Il préfère. Si jamais il loupe son coup, il perd toute sa dignité. Et puis, il a d’autres choses à faire. Il ne se souvient plus de quoi, à ce stade, mais ce ne devait pas être trop grave. Il a oublié son trouble initial, né à la vision du sourire d’Arthur. Il se préfère ainsi, le Suédois : froid et déterminé. Le doute n’a pas de place dans son cœur scandinave. Il doit avancer. Alors c’est ce qu’il va faire.
Il trouvera bien la raison pour laquelle il est passé par ce couloir-là, et ce qu’il avait prévu de faire ensuite.
« Si tu n’as plus besoin, je vais prendre congé. Au revoir, chevalier Bastia. »
Dans une parodie de révérence, Lancelot s’en va. Le mystère de ce tableau et de ce 2222 va encore le tarauder quelques instants, puis il disparaîtra. D’ici à quelques temps, Lancelot aura certainement tout oublié de la voie du chevalier. Sauf, peut-être, un simple songe dans son cœur.
Ses tourments intérieurs ne sauraient s’effacer d’un claquement de doigt.
Lancelot doutera toujours.
Du moins est-il à présent de nouveau sur les rails.
(Merci Bastia.)