Derrière le masque. [TERMINÉ]

Sans un mot, Lancelot avait pris la direction indiquée par Arthur et s'était enfoncé dans ce nouveau couloir sans hésiter. Le Serpentard n'avait pas besoin de marquer son approbation autrement que par son silence éloquent. Il était de toute façon impossible que Lancelot eût manqué le son qu'ils poursuivaient, car il était assez fort. Il n'y avait pas matière à désaccord, et pour cette fois, la possibilité d'un conflit entre Arthur et Lancelot serait évité. Ils restaient sur la même longueur d'ondes.
Si son ami paraissait tout à fait dans cet environnement inhospitalier et étouffant, Arthur ne pouvait en dire de même. Tout contribuait à le mettre mal à l'aise et à contrarier sa progression. L'humidité le prenait à la gorge et lui donnait l'impression désagréable de respirer à travers un mouchoir humide. Il pouvait sentir quelques gouttes perler sur sa peau de rouquin, dont certaines étaient sa propre transpiration. Le silence aussi était particulier : Arthur n'entendait que les courants d'air de la grotte derrière les bruits de leur respiration et de leurs pas. Les bruits de vie semblaient absents, comme absorbés par l'épaisseur des pierres qui les entouraient. Mais le pire, sans doute, était l'obscurité grandissante qui menaçait de le terrasser. Puis ils avançaient à l'intérieur, et plus les sources de lumière se raréfiaient. Sans la baguette de Lancelot, Arthur se serait trouvé dans le noir complet. Quelle angoisse. Plus Arthur y songeait, et plus il lui semblait que la lumière provenant de son ami s'éloignait. Il essayait de la rattraper, mais il fatiguait, il avait peur de l'absence de lumière qui gagnait du terrain, et même si son objectif restait très clair dans sa tête, Arthur comprenait qu'il n'y arriverait jamais à ce rythme-là.
Il en était au point où il allait s'arrêter pour réfléchir en fermant les yeux, et peut-être aussi en produisant de la lumière à son tour, lorsque Lancelot revint sur ses pas pour le secourir. Lancelot non plus n'aimait pas vraiment l'obscurité, malgré l'apparente décontraction qu'il affichait, mais il la supportait, tant qu'il ne se sentait pas prisonnier. Arthur était également jaloux de ce corps plus fort que le sien, qui lui permettait d'avancer plus rapidement et plus sûrement. L'âge était la dernière différence, mais Arthur ne s'en faisait pas trop : sa propre majorité n'était plus très loin, pour peu qu'il survive à l'été. Il n'était pas à quelques mois près.
Il y avait une part de reproche dans la voix de Lancelot, mais Arthur se doutait bien que le Serpentard cherchait à s'imposer. Ces situations étaient toujours idéales pour rappeler au petit rouquin à quel point il était dépendant de lui. Arthur, quant à lui, faisait toujours des efforts pour faire bonne figure, même s'il ne trompait personne.

« Je... je réfléchissais. Inutile de se presser, de toute manière, notre taupe va bien s'arrêter à un moment ou à un autre. On ferait mieux d'être silencieux. »

Cela sonnait presque comme un reproche. Ce n'était qu'une répartie pour masquer ses propres peurs. Arthur ne pouvait pas inspirer très fort pour se donner du courage, aussi imagina-t-il qu'il était en train de le faire. Puis, d'un ton doux et sans méchanceté, il ajouta :

« Si tu as du mal à t'adapter à mon rythme, je passe devant. »

Il savait que Lancelot ne le laisserait jamais passer devant. Pas uniquement parce qu'il aimait mener : parce qu'il tenait trop à Arthur pour le laisser prendre la position la plus dangereuse. C'était l'étrange paradoxe de ce personnage très blanc. Et la raison pour laquelle Arthur se sentait aussi bien en sa présence.
Et pour cette raison également, Arthur s'accrocha à son bras, comme un enfant à celui de son père :

« Allez, on y va ! » s'exclama joyeusement Arthur en poussant Lancelot en avant.

Il aimait bien s'accrocher au bras de Lancelot comme une sangsue, et il savait que son ami, même s'il protestait, aimait également ce contact enfantin. Arthur se sentait envahi d'un courage nouveau lorsqu'il restait à proximité du Serpentard. Et pas uniquement du courage, en fait. Il ressentait une joie vive et véritable à l'idée de partager un tel moment avec son ami.
Il était l'heure de jouer aux petits détectives.

Lorsque Lancelot retrouve Arthur, ses yeux le dévisagent longuement, guettant la moindre trace d'angoisse sur son doux visage d'enfant. Les plis anxieux qui se forment sur son front, à la confluence des deux sourcils, les vagues soucieuses de ses lèvres boudeuses, tout cela constitue autant d'indices que personne ne peut parvenir à supprimer de son visage - pas même lui. Il ne doute pas que les mêmes expressions d'inquiétude sont apparues sur son faciès ; il aimerait volontiers les nier, faire comme si elles étaient inexistantes, mais cela lui paraît compromis. Du moins, savoir qu'il a fait du mal à Arthur et qu'il a pris la bonne décision lui suffit amplement, pour le moment. Il faut dire que cela le rassure également.
Arthur dit qu'il réfléchissait. Lancelot se doute que ce n'est pas aussi simple que cela. Mais il a sans doute songé qu'effectivement, le silence valait mieux. Il n'a pas tort. Cela semble l'évidence même. Malgré tout, Lancelot acquiesce, moins par docilité que pour prouver à Arthur qu'il rentre dans son jeu, alors que rien ne l'y oblige.
« Bien sûr, bien sûr. Évite de faire du bruit, alors. »
Le Serpentard sous-entend que lui n'en fait presque pas. C'est un mensonge, mais qui n'est probablement pas dénué de vérité. Il faut dire qu'il a le pas léger de ceux qui, plein d'assurance, ne ressentent pas le besoin de faire du bruit en marchant pour se faire respecter. Lancelot emplit l'espace ; avec sa peau pâle et ses cheveux de neige, il constitue une seconde source de lumière qui déchire les ténèbres. Au demeurant, il sait très bien qu'Arthur a avant tout cherché à l'agresser en lui reprochant de faire du bruit, reproche que Lancelot lui retourne élégamment.
« Vas-y, passe devant. » : propose Lancelot d'une voix doucereuse.
Il l'a demandé ? Il l'aura. Lancelot n'a pas l'intention de le gâter en faisant preuve d'un excès de protection. Non, cela ne l'intéresse pas ; du moment qu'il fait le minimum, il n'a pas à couvrir Arthur. Il faut que le poussin s'endurcisse un peu, qu'il soit capable de se débrouiller par lui-même. (Et sinon, non, Lancelot ne se dit pas du tout qu'il peut toujours couvrir ses arrières et le protéger d'une attaque en traître, évidemment.)
Sauf qu'Arthur s'accroche à son bras, trop peureux pour y aller seul, et Lancelot retient un soupir. Tant pis, cependant, il n'a pas le cœur à lui dire non, et s'il se dégageait en cet instant, cela pourrait marquer le début d'un long conflit que Lancelot ne serait pas certain de gagner. Il ne se fait pas assez confiance, désormais, quand il s'agit d'Arthur : il semble qu'il soit désormais trop attaché à cette petite bouille craquante.
Malgré tout, ils continuent d'avancer dans leur drôle de posture. Lancelot tient sa baguette magique de sa main libre, mais il a du mal à avancer, se sentant ralenti par le poids de son ami à ses côtés. Il est petit, Arthur, mais il ne faut pas croire que c'est un poids plume non plus : il le ralentit assez pour que Lancelot s'inquiète de rattraper leur espion.
Il finit d'ailleurs par glisser ce doute à Arthur :
« Tu es sûr qu'on arrivera à le rattraper ? J'ai peur qu'on perde trop d'avance, là... »
Malgré tout, ce n'est pas un ordre les enjoignant à avancer plus vite. Lancelot ne donne pas d'ordres à Arthur. Il lui fait des suggestions, il l'oriente dans la direction qu'il souhaite. Il ne s'attend pas non plus à ce qu'Arthur réagisse à toutes ses propositions - le gamin se rendrait compte alors de l'influence du Serpentard sur lui - mais uniquement à celles qui l'arrangent le plus. Celles qu'il présente de façon particulièrement sournoise. Ici, tout est trop simple : il est manifeste que Lancelot se fiche du résultat. Attraper cet espion est important, mais s'ils n'y arrivent pas, il saura toujours trouver une solution de remplacement.

Collé au bras de son ami, Arthur ne se rendait pas du tout compte qu'il pouvait constituer un poids mort et gêner Lancelot dans ses mouvements. Contrairement à ce qu'il avait dit, le rouquin n'avait pas envie de passer devant, et contrairement à ce qu'il avait prévu, Lancelot aurait été prêt à le laisser mener, sans doute parce qu'il pensait que cela était dans l'intérêt d'Arthur. L'intéressé ne comprenait évidemment pas comment. Il se sentait de toute façon bien trop rassuré dans cette position pour envisager d'en changer.
Il est vrai qu'ils avançaient peut-être plus lentement que ce qu'il aurait fallu : Arthur aurait pu tirer Lancelot vers l'avant avec enthousiasme si l'obscurité ne le poussait à se montrer plus raisonnable. Il ne voulait pas prendre le risque de manquer un trou dans le sol ou de marcher sur une créature souterraine. Lancelot, toutefois, lui faisait remarquer qu'ils feraient mieux de se dépêcher s'ils voulaient rattraper leur espion. Ce dernier avait en effet eu le temps de les distancer s'il le voulait, mais Arthur ne pensait pas qu'il le ferait. Il avait compris son rythme, qu'il n'allait pas s'embêter à expliquer à un profane comme Lancelot : ses analyses complexes de la situation étaient en fait bien plus intuitives que ce qu'elles paraissaient. Tout se déroulait en un éclair dans sa tête. Il lui aurait fallu plus de temps pour s'expliquer. En guise de réponse, Arthur se contenta de secouer la tête négativement, comme s'il ne voulait rien entendre. Ce qui ne l'empêcha d'accélérer légèrement le pas, tout en s'agrippant encore plus au Serpentard.
Arthur ne se trompait pas : en pressant un peu l'allure, la zone lumineuse de Lancelot s'étendit jusqu'à un rocher qui barrait la route. Cet événement aurait pu être anodin, si une ombre, trop petite pour être humaine, ne s'en était échappée aussitôt. Elle était trop rapide pour pouvoir être identifiée correctement, mais le bruit de son pas, lui, était caractéristique : c'était celui de leur espion à n'en pas douter. L'animal, comme précédemment, s'éloigna rapidement dans les profondeurs de la grotte, espérant que les personnes qui marchaient sur ses pas ne le poursuivraient plus. Il pouvait être rassuré : Arthur avait eu ce qu'il voulait, et chasser des espions incapables de parler ne faisait pas partie de ses priorités.

« Ce n'était qu'une petite bestiole, remarqua-t-il en haussant presque les épaules. Comme je l'avais prévu. »

Et tout, dans l'attitude d'Arthur, de l'assurance qu'il parvenait à exprimer malgré sa peur du noir, à la façon presque condescendante dont il regardait Lancelot, indiquait qu'il n'avait (pratiquement) pas douté du résultat. S'il avait pu avoir des doutes au départ, la scène à l'embranchement l'avait convaincu de la nature de ce qu'ils poursuivaient. Ils auraient pu s'arrêter plus tôt : Arthur ne se serait pas infligé une terrible épreuve en affrontant ses pires peurs, et ils n'auraient pas perdu du temps. Le Serdaigle voulait cependant voir si Lancelot était lui aussi parvenu aux mêmes conclusions, ou si, une fois de plus, il le laissait s'amuser.

« Allez, on rentre. » annonça Arthur d'un ton très enthousiaste.

Cependant, au moment où il se retourna, entraînant Lancelot à sa suite, le petit rouquin devint encore plus blanc qu'auparavant - si si, c'est possible. Il savait qu'ils s'étaient beaucoup éloignés de l'entrée, mais la vue de ce long couloir tout sombre était tout à fait déprimante. Il en aurait pleuré.

Tant pis si Arthur est un point mort.
Dans le fond, cela veut dire bien des choses - des choses qui arrangent le Suédois. Le fait que son petit rouquin compte sur lui, qu'il a assez confiance en lui pour s'aventurer dans un endroit qui lui fait peur à ses côtés (en même temps, Lancelot la mérite un peu, cette confiance, il a vraiment failli ne pas revenir sur ses pas). Qu'il le voit comme une personne sur laquelle on peut compter, qui ne reviendra pas sur sa décision. Et surtout, qu'il s'appuie sur lui. C'est une forme de dépendance, et Lancelot, qui fait de l'ambition une œuvre d'art, sait que c'est bien un travers auquel il ne faut pas céder si l'on souhaite se placer au sommet. Il détesterait probablement toute comparaison hégélienne, mais elle est, bien sûr, très présente dans notre esprit - car en faisant tout pour Arthur, il l'amène à oublier l'habitude de les faire seul. Lancelot s'infiltre dans son esprit, lui faisant comprendre à quel point ce jeune homme qui se tient à ses côtés est indispensable à ses plans et à son existence. Quant à lui, il pourrait objectivement se passer d'Arthur - et c'est ce qu'il ne cesse d'affirmer. Cependant, il y a cette part subjective de lui, qui a envie que le petit y trouve son compte, et qu'il ne soit jamais en difficulté. Bien qu'un peu gênante, elle a un certain intérêt : cela ne fait que le rendre plus fiable encore.
C'est Arthur qui accélère, imposant son rythme à un Lancelot qui daigne le laisser faire, bien trop content de la tournure de la situation. Il l'a fait. Il a écouté son conseil, et le Serpentard se retient d'afficher une expression triomphale sur son visage. Un masque d'indifférence y prend plutôt place, comédie qui ne trompe d'ailleurs peut-être pas totalement Arthur - mais il n'a guère de moyens de le vérifier, Lancelot. Le coupable est finalement attrapé : un animal. Lancelot manque d'éclater de rire ; encore une fois, il fait tout pour que son hilarité ne ressorte pas. Comme ils ont l'air stupides...
Ils ?
Ah bah, oui, lui aussi.
Il ne leur reste donc plus qu'à rentrer, mais cela n'est pas si facile. Lancelot sent que son ami se fige à ses côtés. Visiblement, le noir lui fait peur, et il doit avoir pris conscience qu'il n'a recherché aucun repère. Arthur est perdu. Pas Lancelot ; du moins, il pense pouvoir retrouver le chemin sans trop de difficultés. Il ne serait pas assez bête : il pourrait envisager de perdre Arthur dans une grotte, mais pas s'il risque d'y rester lui aussi. Et puis, au final, il irait sans doute se porter à son secours, inquiet de savoir que le gamin ne s'en sortirait pas seul.
Ah, franchement, dire que c'est lui le chef des duellistes, et le meilleur manipulateur que Lancelot connaît (en dehors de lui-même). Des fois, il fait pitié.
D'un ton un peu dur, il lance :
« Ne fais pas ton bébé. Je t'amène à la sortie, alors on y va, parce que si tu pleures, je te laisse tout seul. »
Il ne fait pas vraiment cela pour l'endurcir, bien plutôt parce qu'il n'a aucune envie de devoir s'arrêter pour consoler un Arthur effrayé. Il aime bien le voir terrorisé, mais bon, lui-même ne se sent pas assez confiant pour jouer au plus malin. Il pense pouvoir trouver la sortie.
Il n'est pas sûr.

Il y a des tas choses sur lequel on peut s'appuyer sur Lancelot les yeux fermés.
Transmettre un message de sa part aux autres duellistes illégaux ? Quoi de plus facile. Lancelot irait les voir individuellement s'il le fallait, mais toujours discrètement, et il n'altérerait pas le message. L'intention d'Arthur était toujours retranscrite à la perfection. Pour cela, Lancelot excellait brillamment.
Trouver un lieu de réunion pour qu'ils puissent se retrouver en paix ? Là encore, Lancelot dénichait l'endroit idéal avec aisance, comme s'il savait exactement quel lieu serait déserté à quel moment, et quel lieu ne se prêtait pas facilement à l'espionnage. Sur ce point, lui et Arthur était plutôt complémentaire, car le garçon arrivait à un résultat similaire tout en utilisant des compétences différentes.
Le comprendre ? Pas de doute, Lancelot était très doué dans le domaine. Il ne semblait pas avoir été enfant un jour, mais il était à coup sûr manipulateur. C'est sans doute pour cette raison qu'il parvenait à prévoir les tours que prenait l'esprit d'Arthur. Il fallait être soi-même retors pour comprendre cela.
Rechercher du soutien lorsqu'il était terrifié ? Ce rôle pouvait être rempli par Lancelot. C’est son côté chevaleresque qui le poussait à protéger son cadet. Le plus intéressant dans cette histoire était que Lancelot refusait de voir ce qu’il était vraiment. Plus aveugle que les autres sur lui-même, il ne se rendait pas compte toute la gentillesse qui était contenue en lui. Voir Arthur en détresse ne le rendait pas indifférent. Il trouvait toujours une façon de le supporter et de le remettre sur le droit chemin.
Lui offrir des paroles douces et réconfortantes ? Là, par contre, Lancelot peinait à remplir cette fonction. Car Lancelot pouvait être tout ce qu’on voulait, mais pas tendre. Ce sentiment lui était très certainement interdit, et à supposer que le Serpentard offrît son cœur à une demoiselle, il ne lui offrirait jamais de mots d’amour ou de douces caresses. Rien ni personne ne pouvait briser cette pellicule de glace qui recouvrait son cœur. Arthur ne s’y était jamais essayé – et il n’en avait pas vraiment envie. Ce trait de caractère ne le dérangerait pas vraiment.
Cela lui faisait mal de se faire traiter de bébé, mais cela lui faisait du bien. Il était bon de se faire parfois rappeler qu’il avait seize ans et non six, qu’il était un sorcier et non un moldu, qu’il était quelqu’un d’ambitieux et visionnaire et non un simple trouillard. Qu’il pouvait faire quelque chose de sa vie, s’il s’en donnait la peine.
Mais pour l’heure, sa réaction n’était pas vraiment glorieuse :

« Je ne suis pas un bébé, rétorqua Arthur, un peu vexé par le commentaire. Je suis juste un peu impressionné, c’est différent. »

Reniflant fort pour retenir les larmes qui n’allaient de toute façon pas couler, Arthur décida qu’il était grand temps de se ressaisir, et qu’il n’était rien que son intelligence ne pouvait surmonter. Il devait imaginer l’espace d’un instant que Lancelot pouvait être faillible – ce qui n’était pas prêt d’arriver. Que lui aussi craignait quelque chose. Il n’était pas de peur qu’il ne pouvait vaincre. Ainsi en allait-il également pour Arthur.
Le rouquin fit un pas en avant, puis un second, comme pour tester sa résistance aux ténèbres. Chaque écart trop prononcé l’éloignait de la lumière de Lancelot, mais il ne devait pas prêter attention aux ombres qui menaçaient de le dévorer. Il devait simplement avancer, comme il était venu auparavant. Ce n’était pas compliqué. Non, il n’avait pas peur. Pas de cela.
À cette allure, il ne leur fallut pas dix minutes pour retourner à l’embranchement précédent. Arthur était persuadé que Lancelot ne saurait pas où se trouver la sortie. Cela semblait si évident au rouquin, qui reconnaissait au détail près chaque pierre qu’il avait pu croiser, mais n’importe qui aurait pu être prise d’un doute en voyant une intersection se présenter. Mais Arthur n’allait pas tester Lancelot. Il avait confiance en lui et en sa capacité à le protéger de ce qu’il ne voyait pas lui-même. Il voulait lui prouver ce qu’il pensait de lui en ne se comportant pas comme son ami l’aurait fait. C’était aussi cela, l’amitié : offrir aux autres ce qu’ils considéraient comme des cadeaux.

« Par ici. » chuchota Arthur tandis qu’il se glissait dans le boyau.

Au loin, les premières lueurs du jour commençaient à émettre une toute petite lumière sur les parois sombres et humides.

Cela lui est un peu difficile, mais Lancelot parvient à retrouver plus ou moins le chemin à partir d'indices qu'il a repérés au préalable. Il a heureusement une bonne mémoire, donc lorsqu'il aperçoit cette certaine pierre dont la forme à retenu son attention, il sait qu'ils doivent tourner à gauche et non pas à droite. C'est déjà bien ; Arthur ne serait pas capable d'en faire autant. C'est la preuve que, mine de rien, Lancelot est un type fiable. Plus fiable qu'il ne semble aux premiers abords ; en fait, à ce stade, Arthur a dû se rendre compte que Lancelot, malgré son égoïsme et son ambition, est quand même quelqu'un de gentil - il refuse simplement de l'admettre ouvertement. Ce n'est effectivement pas son genre que d'offrir des mots doux et des gestes rassurants ; il a cette froideur digne qu'il a hérité de son enfance, où nul ne les lui a prodigués, dès lors on comprend que ce soit pour lui une attitude tout à fait normale. Il n'en voit d'ailleurs pas l'intérêt, vu que lui n'a jamais eu besoin d'être réconforté - à peine encouragé, par des mots assez durs. Arthur semble cependant vexé qu'il puisse insinuer qu'il est un bébé, et Lancelot éclate de rire, manquant de faire tomber sa baguette. C'est plus fort que lui, le gamin est tellement adorable quand il réagit comme cela.
« Oh, allez, ne boude pas. » : taquine-t-il avec ce qu'il y a de plus doux en lui.
S'il ne devait d'ailleurs pas tenir cette baguette, il irait caresser la joue d'Arthur comme on le fait avec un enfant qui a besoin de courage - oui, Lancelot le voit vraiment comme un gosse, des fois, car cela vaut mieux que d'admettre que s'il ne prend pas le pouvoir, c'est en partie à cause de l'esprit retors et intelligent d'Arthur, un esprit auquel il n'a pas tellement envie de se confronter.
Et puis au final, il avance avec bravoure, non ?
Merci à son chevalier.
Après dix minutes de marche, la sortie se profile, à la grande satisfaction du Serpentard. Il n'était pas tout à fait sûr de pouvoir la retrouver, mais qu'importe, puisqu'il y a réussi ? Il bombe donc le torse, fier de lui, l'air de dire "c'est normal, c'est de moi qu'on parle". Il suit Arthur, et est accueilli par la caresse du soleil sur sa peau opaline - sensation qui, habituellement, le dérange, mais qui n'est pas si désagréable à ce moment précis. Aveuglé par la luminosité soudaine, Lancelot ferme les yeux, tout en lançant à Arthur :
« Bon, on va s'occuper des sortilèges contre ton serpent ? »

L'air s'était légèrement rafraîchi à l'approche de la grotte, en raison de l'air marin qui y pénétrait un peu. La lumière, elle, paraissait presque éblouissante en comparaison de l'obscurité dans laquelle Arthur avait vécu pendant quelques dizaines de minutes. Étrangement, il n'avait plus peur du noir pour le moment, mais il savait que la cause n'était pas encore complètement gagnée, et qu'il n'avait pas totalement maitrisée sa part. Par comparaison à l'intérieur, il se sentait mieux dans cet espace sombre. Arthur se demandait si c'était l'intention de départ de Lancelot. Le Serpentard n'était pas toujours facile à lire, même si Arthur le connaissait parfaitement. Il semblait parfois que son esprit était trop lisse pour offrir des prises auxquelles s'accrocher pour le comprendre. Il lui semblait parfois qu'Arthur refusait de comprendre Lancelot lorsqu'il lui permettait de comprendre un aspect de lui-même qu'il refusait d'envisager.
Le Lancelot en question se comportait comme s'il les avait sortis de la grotte, alors que le tout le travail avait été fait par Arthur. Le rouquin trouvait cela légèrement agaçant - il ne lui avait pas dit de prendre la responsabilité de cette réussite - mais il n'allait pas faire le bébé et le lui reprocher. D'autant plus que Lancelot lui proposait d'aller s'occuper du serpent qui le dérangeait tant. Il aurait été bête de refuser.

« Ok, le bungalow doit être libre à cette heure. » répondit Arthur d'un ton très pragmatique.

Avant de partir, le rouquin se retourna une dernière fois vers l'abysse d'où il venait de ressortir. De secondes en secondes, l'orifice regagnait ses teintes obscures. Il ne restait plus aucune trace de leur passage dans le boyau, plus aucune lumière pour témoigner qu'ils étaient passés par là. Un léger frisson le parcourut au souvenir de l'épreuve qu'il avait traversée. Ce n'était pas tant la possibilité d'avoir été démasqué qui le dérangeait que le voile d'ombres qui recouvrait sa visibilité. D'une certaine manière, il était logique qu'une personne comme Arthur, qui aimait tout contrôler et avoir une vision d'ensemble des choses, n'aimât pas le noir. Il n'aimait pas être aveugle, que ce soit sensiblement ou intellectuellement.
Il comprenait désormais.

SUJET TERMINÉ