Ton histoire est d'une banalité affligeante. Mais elle reste ton histoire, ton ciment. Tu as bâtis ta vie autour d'elle, suivant le rythme et le scénario imposé. Trame manquant souvent de douceur et dont le premier rôle t'épuisait jour après jour. Jusqu'à ce que tu t'empares de la plume, pour tracer de nouvelles lignes et pour profiler un épilogue selon tes goûts. Oh non ; personne ne te jettera la pierre en t'accusant d’égoïste ou de capricieuse. Personne n'en a le droit. Cette prise de pouvoir est légitime ; tu en as suffisamment bavé par le passé.
Enfant née un jour banal ; dans une famille banale. Tes parents n'étaient pas milliardaires, encore moins dirigeants d'une firme multinationale. Ils n'étaient pas pauvres non plus, ni drogués, alcooliques ou violents, mais simplement traductrice et langue-de-plomb. Tu avais un foyer calme et chaleureux ; là où l'amour des tiens faisait ton bonheur à l'époque où, naïve, tu n'avais que faire de la cruauté du monde. C'était peut-être ça le problème ; couvée sans pour autant être gâtée, tu n'as pas vu le temps s'écouler ni les choses changer. Enfermée dans ta bulle sans aucune perception d'avenir, persuadée de rester pour toujours aux crochets de tes parents bien trop aimants.
Ils t'aimaient comme tu étais.
Et ça te suffisait.
Mais, les enfants ont la réputation d'être cruels. Et les moqueries n'étaient là que le commencement d'un calvaire à perpétuité.
École primaire puis collège. Tu te revois comme celle que l'on regardait en biais avec un sourire dédaigneux. Celle qui faisait l'objet de paries et qui n'y voyait que du feu. Celle qui trouvait toujours une excuse pour sécher les cours physique et qui ensuite, y ressentait de la culpabilité. Tu te revois comme la fille mal dans sa peau, bloquée dans un corps infâme, imparfait. Celle cachant une part d'ombre, un tempérament insoupçonné mais qui, toujours, se taisait. Par manque de confiance. Et par peur.
Qu'on se détrompe, tu n'étais pas seule. Car chaque année, il y avait toujours une nouvelle recrue imparfaite, proie des autres élèves, avec qui il t'était facile de te lier. Tu n'avais rien de la gamine renfermée sur elle-même, agressant le premier venu. Non. Tu étais chaleureuse et accueillante. Bonne vivante, tu avais le rire facile. Espiègle, maladroite, autant de cartes qui t'octroyaient le droit d'être jugée d'attachante. Tu préférais avoir l’étiquette de la fille « gentille » collée à ton front ; pas celle de la fille « grosse » qui sourit avec un double menton. Tu pensais qu’ainsi on te laisserait tranquille, et que tu pourrais vivre ta vie palpitante sans heurts. Oui mais… la gentillesse est une faiblesse, tu l’as appris à tes dépends.
Tu as berné ta famille. Ils te croyaient heureuse malgré ta différence. Ils croyaient en tes rires sans se douter qu'ils sonnaient un peu plus faux chaque jour. Comme le reflet de ta prise de conscience. Plus tu comprenais et plus ta joie s'estompait, remplacée par quelque chose de plus factice. Comme un masque que tu t’autorisais à retirer une fois seule, à l'abri des regards.
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Tu es arrivée à Poudlard dans ton enveloppe adipeuse, pensant que les choses changeraient peut-être. Que le monde des sorciers était différent et que tout allait se faciliter pour toi. Quelle niaiserie de ta part. Tes espérances se sont écroulées et tu as continué à porter le poids de ta souffrance aussi bien corporelle que mentale.
Le monde magique que tu connaissais depuis toujours – tes parents t’en ayant souvent parlé – avait toutefois le mérite d’avoir de bons côtés… à savoir, la magie. Au fil du temps, tu songeais même à rendre visite à tes anciennes écoles, munie d’un « Bombarda » bien maitrisé. Hélas, les lois sont… les lois. Et elles protègent même ceux qui ne le méritent pas. L’envie de gravir les échelons pour changer les choses ne te manque pas. Les capacités intellectuelles ; si. Le chemin politique n’est clairement pas fait pour toi.
Les années on passées. Années pendant lesquelles tu n’avais en rien amélioré à tes habitudes alimentaires ; chaque soir Poudlard était un festin ; chaque vacances scolaire passées au Portugal… était aussi proche d’une cure d’amaigrissement que Jean-Claude Vendam est proche de la science exacte.
Pas grand-chose pour t’aider.
Et pourtant.
Tu l’as eu, ce fameux « déclic ». Tu ne sais pas quand c'est arrivé ni comment. Un amas de tout. Un raz-le bol infini. Une dépression grandissante et une envie de te battre. Contre toi-même. Et contre les autres.
Sans s'étendre sur ces mois de restriction plus qu'alimentaire – puisque tu t’es vouée au sport et notamment au Quidditch et à la pratique de la batte – te voilà aujourd'hui devenue une autre. Plus sûre d'elle. Plus confiante. Mais aussi plus acerbe et blessante. Tu juges sans te donner la peine de connaître. Tu étais l'exclue, la paria. Tu es devenue la bête noire et le cauchemar d'un peuple jadis sans pitié dont tu veux simplement te venger.
Mais, la maladie te guette à défaut de te ronger. Tes proches te le disent et te mettent en garde contre le danger d'un changement aussi radical. Ils te gonflent et t'agacent. Te répéter que « tout va bien », tu « gère » te fatigue. Tu n'aspire qu'à être tranquille. Si l'envie te prend de jeûner, alors tu jeûneras, pourvu qu'on te foute la paix. Si compter les calories te semblent important, voir vital, qu'on te laisse compter en paix. Si vomir commence à devenir une nécessité, alors tu espères qu'on te laissera pencher sur la cuvette, à régurgiter tes tripes et ton âme.
Qu'on te foute la paix.
Qu'on te foute enfin la paix.