Histoire.
Rugova në Kosovë,
Ta mère te coiffe tous les matins avant que tu ne partes rejoindre tes copains. Chaque fois, tu lui demandes d'arrêter car c'est très désagréable. Chaque fois, elle rétorque qu'ils se moqueraient de toi si tu sortais comme un clochard. Et chaque fois, tu devais prendre le berger yougoslave avec toi par précaution.
Tu ouvres toujours cette porte en bois et découvres chaque matinée le paysage immaculé de blanc. Il faisait souvent entre 0° et -3° et pour toi, il était normal de partir à l'aventure accompagné de tes camarades en ces conditions. Tu cours, et tombes facilement sous la couche de neige. Non seulement tu étais petit mais ces énormes tas de vêtements t'empêchaient de te mouvoir convenablement.
Comme chaque jour, tu descends la rue du chemin de l'école et fais attention : il n'y avait pas toujours de trottoir. Il fallait aussi garder le chien à ses côtés pour éviter qu'il ne s'aventure au milieu des routes. Tu croises toujours tes amis assis sur un tas de bois coupés et empilés les uns sur les autres. Poser leur fessier sur la neige ne semblait pas être un problème : or, pour toi c'en était un.
Mais aujourd'hui semble être un jour différent : tu remarques en effet une personne en plus dans la bande de copains. Une fille. La cousine de Partin. Tu salues tout le monde exceptée cette dernière. « Et moi alors ? » « Toi ? » « Oui moi. » Tu te tournes vers son cousin. « Qu'est-ce qu'elle fait là elle, on avait dit pas de filles ! » « Mais elle a insisté pour venir... et ma mère m'a forcé pour la trimbaler avec nous sinon je sortais pas. » « T'es nul ! Elle va tout rapporter après. » « Rapporter quoi ? Alors j'avais raison, vous faites des bêtises. » Tu te tournes vers la concernée, grimaçant. «
Gngngn vous faites des bêtises. Ouais exactement, c'est pour ça qu'on accepte pas les filles, vous êtes toutes des trouillardes et des rapporteuses. » Elle croise les bras. « Je n'ai peur de rien. L'autre jour, j'ai lancé des pierres à un chien errant. Un gros, en plus. J'ai failli mourir. » Son cousin la reprend. « Espèce de menteuse c'était ton grand frère et t'étais même pas là. » « C'est bon, laissez la tranquille, on t'accepte Lulë. » visiblement pas du même avis, tu croises les bras. « Depuis quand est-ce que tu décides, Afrim ? Ce n'est pas parce que tu es le plus grand d'entre nous que tu es le chef. » « Ça ne sert à rien de faire des histoires. Aller on y va, le dernier qui arrive à la
grosse roche il rentre chez lui ! » et tu cours, tu cours, tu tombes lamentablement. Lulë te dépasse et ose te narguer.
Tu étais dernier.« Elle m'a donné un croche-patte ! Elle l'a fait exprès ! » « Hein mais c'est pas vrai ! Je vous jure j'ai rien fait ! Ce n'est pas ma faute si tu es nul Gëzim ! » « C'est toi qui est nulle tricheuse, retourne jouer à tes barbika* (barbie) de merde. » « Bon c'est bon les gars, on va vous départager. On va à la rivière et celui qui arrive en premier de l'autre côté gagne. » « La rivière... ? Non l'eau est gelée et je risque de tomber ! Et c'est dangereux ! » « Elle est pas immense, et ça fait des tas de fois qu'on la traverse... sinon tu peux toujours rentrer chez toi. » Ajoute Partin, visiblement agacé. « Vous savez pas faire des jeux normaux ? Venez on joue au foot plutôt. » « Mauvaise idée, tu vas te prendre le ballon dans la tronche et tu vas chouiner. » Afrim pose l'une de ses mains sur l'épaule de Lulë « Fais pas attention à Gëzim, il veut toujours faire l'abruti. Je suis là. » tu clignes plusieurs fois des yeux, perplexe, et comprends petit à petit ce qu'il se passe. « Beurk. »
Tu étais de mauvaise foie.« Voilà la rivière. A trois, vous y allez. Un, deux, trois ! » et tu sautes sur les roches les plus plates, tandis qu'elle prenait plutôt son temps pour éviter de chuter. Tu trouves ça ridicule, elle ne se mouillait pas et réfléchissait trop,
c'était le problème de toutes les filles, tu pensais. Et pourtant, c'est toi qui chute. C'est
ton pied qui dérape à l'une de ces roches glissantes.
C'est
ton corps qui se fracasse contre ce gros caillou.
C'est
toi qui finit dans cette rivière.
« Aidez moi ! Aidez moi ! J'ai mal ! J'ai mal ! Ma jambe ! Ma jambe ! » et tu pleures, tu pleures. Tu crois mourir. L'eau est plus que glaciale. Et tu n'arrives pas à nager. Tu as la terrible impression que ton corps se transforme en glaçon à chaque seconde passée. Tes copains courent pour venir te sauver. Et Lulë, déjà sur place, se positionne à quatre pattes pour se stabiliser, sa main se tend pour tenter d'attraper la tienne. « Attrape ! Attrape ! » « Partin, vite, va appeler un adulte ! » La jeune fille retire son manteau et te le lance. Tu réussis à attraper le manche. « Les gars ! Venez m'aider il va m'emporter avec lui, ça glisse ! Je vous avais dit que c'était dangereux ! »
[...]
La porte de ta chambre s'ouvre. « Salut Gëzim. » « Salut Lulë. » Silence. « Ça va mieux ? » Tes yeux observent ton plâtre. « Oui, enfin, ça fait deux semaines que j'ai pas mis les pieds dehors à cause de la neige. Ma mère ne veut pas que je prenne des risques de toute façon. Et mon père j'en parle même pas, si je bouge, je risque de me retrouver à vivre parmi nos vaches. » « Ils ont raison. » Tu soupires. « Oui mais je déteste rester enfermé à rien faire ! » Elle tire une chaise en bois et s'y installe. « Je vous avais prévenu et heureusement que j'ai trouvé ce jeu stupide, ça aurait pu être moi à ta place et peut-être que je ne m'en serais pas aussi bien sorti ! » Silence. Tu attrapes sa main. « Merci Lulë... je suis désolé. Tu... euh... tu m'as sauvé la vie... et tu es courageuse. T'es pas une trouillarde. Tu peux faire partie de notre bande si tu veux. » Elle rit puis se lève. « Non j'ai déjà des copines. » « Mais tu peux avoir des copines et rester avec nous. » « Mes parents m'interdisent de vous fréquenter. J'y vais, bon rétablissement ! Oh, j'oubliais ! » Elle sourit et te tend une tablette de chocolat. « Merci... ? Ouvre l'armoire, ma mère a laissé quelque chose pour toi dedans. » La jeune fille obéit et récupère quelques fleurs qui commençaient peu à peu à faner. Cela ressemblait plus à un cadeau maladroit de ta part. « Tu la remercieras. »
[...]
« Woah Afrim, c'est quoi cette tête ? C'est la pause, aller viens jouer. » Son regard est vide. Il ressemblait à celui d'une carpe échouée sur la terre ferme. « Ma soeur est partie vivre en Allemagne avec son
mec sans rien nous dire. » « ...Hein ? Comment ça ? Un allemand ? Comment elle a fait ? » « Bah, elle parlait avec lui via internet. Il vient du Kosovo aussi mais il vit là-bas depuis longtemps. » Tu déglutis. « Mais elle l'a déjà vu en vrai avant ? » « Non. » « Et tes parents... ? » « Tant qu'il a les papiers tu sais... mais mon père a quand même pété un câble. Je la déteste. Je la déteste de toute mon âme. » Tu t'assois à ses côtés, ne sachant pas vraiment quoi lui dire. « Ne dis pas ça ! T'inquiètes pas, elle reviendra. Personne ne peut oublier sa famille. » « Non, tu ne comprends pas Gëzim ! Si elle se barre d'ici c'est pas pour revenir ! Quand ça arrivera à toi ou à ta soeur tu... » « Elle ne ferait jamais ça. Moi non plus. » « Tu es en train d'insinuer quoi ? » « Toi tu insinues quoi plutôt ?! » et tu te lèves d'un coup. « C'est pas parce que tu doutes de sa sincérité que tu dois t'attaquer à ma famille, enfoiré ! » à son tour, il se lève. « Je ne doute pas de sa sincérité ! Je lui en veux d'être partie sans rien dire, peu importe la raison ! »
« Edona... ? » « Quoi ? Je te prête plus de feuilles tu ne me les rends jamais. » « Tu rêverais de quitter le Kosovo ? » « Non, mais j'aime beaucoup la France et la Suède. L'Angleterre aussi, Papa m'a dit que c'est très beau. » « Si la personne que tu aimes habites dans l'un de ces pays, tu la rejoins ? » Très embarrassée, elle rougit. « Pourquoi tu me demandes ça ?! » « T'as pas intérêt ! Si tu quittes un jour la maison sans rien nous dire, je te le ferais payer très cher et lui, je le tuerais de mes propres mains ! » tu claques la porte et tu t'enferme dans la chambre. Tu ne voulais pas qu'il t'arrive la même chose qu'Afrim. Tu ne voulais pas.
[...]
Londër në Angli,
« Tu sais qu'il faut faire gaffe comment on prononce beach sinon ça fait bitch avec notre accent. » « Ok. » « J'ai appris plein d'insultes. » « C'est chouette. » « Euh... T'as des amis sinon ? » « Ouais. » « Tu me reposes pas la question ? » « Non. » « Ok. » « Ok. » Votre mère débarque dans la cuisine. Tu croises son regard. « Maman elle est bizarre Edona, elle parle pas. » « Bah si j'ai pas envie de parler, je parle pas, surtout avec toi. » « Mais qu'est-ce que je t'ai fait ? » Elle quitte la table. « Laisse la tranquille. »
Quelque chose n'allait pas. Il n'était pas rare qu'elle t'envoie balader, mais pas sur une aussi longue durée. Ça faisait déjà quelques semaines qu'elle se comportait étrangement. Et voilà officiellement un an et trois mois que vous viviez désormais à Londres. Ton père avait trouvé du travail à l'aide de quelques connaissances qui vivaient ici depuis bien longtemps. Sorciers eux aussi qui plus est. Avec tout ça, tu pensais alors que c'était le changement de culture, le changement de décor, simplement le changement qui la change. Ou la crise d'adolescence.
Sot*, Poudlard.
(*Aujourd'hui)