dean boswell don

Froiiid. J'aurai su, je n'aurai pas suivi Richard : il n'inspirait déjà pas tellement confiance à la base, voilà qu'il me traîne dans la plus polaire des antichambres d'Angleterre.

Mais pas une seconde à perdre.

Place aux joyeuseries. Richard Cœur-de-glace et son ami s'apprêtent à cuisiner le bien piètre ragoût refroidi que je fais. L'un s'installe calmement sur la chaise tandis que l'autre -dont j'ai immédiatement oublié le nom après l'avoir entendu- croise les bras en arrière-plan. En soi, j'ai beau être là comme témoin, j'ai plus l'impression d'être inculpé qu'autre chose : imaginez, le sanguinaire adolescent de 17 ans, égorgeant dans la jovialité la plus totale, main dans la main avec son grand-père.

Ça n'a aucun sens.

Et puis, pas besoin de faire tout ce numéro. Je suis assez renseigné comme ça : l'enquête est au point mort, et même si papy gratte dorénavant les barreaux, il y a encore beaucoup trop à élucider pour une affaire de cette ampleur. Forcément, fallait s'attendre à ce qu'on se tourne vers moi. Faut dire que, vu mon implication plus que douteuse, je l'ai un peu cherché.

Bref, pas le temps de dresser le schéma. Ça va commencer.

▬ Détends-toi, ça sera vite fini. Je t'ai tout expliqué, d'un sens : je te pose les questions, tu réponds, et puis tu files. C'est pour les besoins de l'enquête, il faut nous comprendre.

▬ Je comprend parfaitement, monsieur. Allez-y.

Docile. Bah ! Je n'ai rien à me reprocher. C'est plus lui, dans le fond, qui ne se montre pas très courtois. Regardez-le, avec son regard vitreux, prêt à rentrer dans mon esprit comme un sauvage. Il va être déçu, le bougre.

Mais bon, je salue l'idée du double-interrogatoire. C'est bien trouvé, mais pas très légal pour un témoin. Je crois.

▬ On t'a sûrement posé la question plus d'une fois, mais as-tu constaté un comportement étrange ou répréhensible chez ton grand-père ?

▬ Non. Avec moi, c'était quelqu'un de très gentil, très doux. Il rigolait beaucoup, et adorait les jeux de mots. Il avait ses colères, mais rien d'original.

Tu crois que je te vois pas, avec ta baguette ? Mes dents grincent. Monsieur est bon, et il ne s'est pas fais prier pour entamer les hostilités. Le truc, c'est que Papa nous entraîne depuis tout jeunes à contrer ce sortilège, et ce n'est pas pour me vanter -bon peut-être un peu- mais je me débrouille pas trop mal.

▬ Soit. Je note. Question suivante : tu visitais souvent l'atelier de ton grand-père ? Un des corps a été retrouvé là-bas, alors si tu as vu quoi que ce soit..

▬ Pas vraiment. C'était mal rangé, poussiéreux, mais ça restait un atelier banal. Il y faisait des assemblages, souvent des horloges. Pas de..

Il revient à la charge, l'enfoiré. Il a pris ça comme un défi personnel ? Je commence à perdre le contrôle. Le méandre d'émotions menace d'exploser, des brides s'échappent : l'odeur du vieux bois, les après-midi passés au chaud, les moqueries, l'isolation, les cannelés, ma famille, le tic d'une horloge, et puis des images, tout un fragment d'identité prêt à être dérobé. Pas question.

▬ C-corps.. Je me met à tousser violemment. De l'eau ! J'ai avalé mon chewing-gum de tr.. Je tousse. Et je vide mon esprit. Je profite du gain de temps. Je gagne.

Richard dit «le froid» se montre bien urbain et m'apporte un verre d'eau gazeuse. D'une petite tape entre les omoplates, il me remet d'aplomb. Il aurait presque eu l'air inquiet, le pauvre. Côté esprit, c'est la libération : le malpoli a lâché prise, voyant que ça tournait au vinaigre. Vu le niveau du gars, je ne m'en serai probablement pas sorti indemne dans une situation plus grave, mais sur le coup, j'ai assez bien géré.

Du moins, à ne pas trop déformer mon visage.

▬ Merci. Je disais, je n'ai jamais vu de corps. Vous vous en doutez, sinon je l'aurai signalé. Je hoche la tête vivement.

Puis il rebondit sur d'autres questions. Plus de détails, moins d'intimidation. Au final, l'interrogatoire ne dure qu'une demi-heure; rien de bien méchant, mais assez pour avoir sapé mon humeur. C'est vrai ! Je m'en serai bien passé, de la minute tacite du torve-esprit, et c'est d'ailleurs pas dit que le traitement aurait été le même pour tous les témoins.

Le nom Boswell doit jouer dans l'équation, pour changer.