Sur la table, sont éparpillées différentes lettres. Toutes le concernent
lui, et uniquement lui.
Première page de mon journal intime,
(il n'y a pas de date. Seulement un "Hey sale cahier, on va parler de moi". Le journal n'a jamais été continué après ça. Trop de flemme en lui).Mon nom est César. Et j'ai l'intention de t'utiliser comme défouloir pour parler de ma vie et de mes emmerdes. Oxiana, la voyante du coin, m'a dit que ça me ferait du bien de mettre mes émotions sur un bout de papier. Je vais donc te faire le point sur ma vie et mes emmerdes. Je sais, je sais. Tu te sens honoré d'être mon confident.
Qui ne le serait pas ? Je viens d'une lignée de forains. Oui, je sais ce que les gens pensent en premier lieu.
La consanguinité, les entourloupes. C'est peut-être pour ça que je suis une
mauvaise graine, un voyou. Les autres pensent que mon seul avenir est d'appuyer sur le bouton d'une grande-roue bancale et de finir par enfanter une de mes cousines. Mais s'ils savaient... Je vaux bien mieux que ça ! Un jour, je deviendrai le futur président de la Russie. Ou un journaliste mondialement connu. Ou un astronaute qui ira planter un drapeau avec sa tête sur une planète éloignée. Et à ce moment-là, ils pisseront tous dans leur froc pour avoir osé me sous-estimer !
Ma famille et moi, nous voyageons beaucoup. Depuis que je suis né, j'ai voyagé dans une trentaine de pays. Bon, avouons-le : surtout basés dans l'ex-URSS, mais j'ai aussi pu voir un peu de l'Asie ou de l'Europe de l'Ouest. C'est simple. Dès qu'on nous propose assez de fric dans un pays accessible par la route, on se déplace comme des petites souris attirées par du fromage pour y installer notre foire. Il faut dire qu'on a du succès, nos attractions font un véritable carton auprès des plus jeunes. Et nous ? On s'en met tous plein les poches.
Bon, le désavantage c'est de vivre dans une caravane que je partage avec mes trois sœurs. Vous avez pas idée du nombre de cheveux dans la douche, ou de l'odeur ambiante d'encens qui pue.
L'horreur ! Mais au moins, on a notre espace rien qu'à nous et on s'amuse bien ensemble. Papa et maman vivent à côté, dans leur propre caravane. Et je dois avouer que c'est plutôt rassurant.
Certes, maman est une personne assez douce avec nous, mais Papa peut se montrer assez violent. Bon, je suis paaaas un gosse battu ou quoi que ce soit. Te fais pas des films, hein ! C'est juste que papa m'envoie des baignes à chaque fois que je le déçois. Mais j'imagine que c'est
normal, vu que je suis son seul fils. Et qu'il faut avouer que je suis parfois un véritable petit enfoiré. Une mauvaise note ? Un vol pris sur le fait ? Une déception quelconque ? Et bam, il explose. Mais il faut pas lui en vouloir, il travaille toute la journée. Et c'est lui qui nous apporte de quoi manger. Au moins, il n'a jamais levé la main sur mes sœurs.
Sinon, j'ai dû apprendre l'anglais. Il faut toujours savoir parler à son client, et l'anglais est une langue internationale. Tu parles, leur alphabet est laid comme tout. Leurs "w" à outrance me sortent par les yeux. Sans parler de leur "wow it's amazing !" Oh non. Ça, c'est les américains.
Bref. Sur cette introduction, je vais aller dormir, moi.
Lettre à mon futur moi,
(les fautes d'orthographe ont été corrigées plus tard à la baguette. Il faut avouer que ce n'est pas très professionnel de garder une preuve de son analphabétisme et de sa dyslexie passée. Bien évidemment, le tout est écrit en russe).Cher César,
Si tu as réussi à survivre jusqu'à ta majorité, je te félicite. Tu as toujours été un survivant, un
battant. C'est drôle, mais du haut de mes onze ans je t'imagine comme un véritable tombeur.
Moi ? Je viens d'arriver en Angleterre avec toute la troupe. Il parait qu'un cirque local avait besoin du savoir-faire de papa pour tenir une foire derrière leur chapiteau. Donc il nous a emmenés nous, et quelques autres membres de notre "grande famille". Parmi eux, Oxiana (vous savez, la médium) me sert un peu de grand-mère protectrice.
Ici, les gens sont bizarres. Ils pensent que tout est "lovely" et se permettent de m'appeler "love" ou "mate" alors qu'on a clairement pas élevé les cochons ensemble ! Le temps est chelou, aussi. C'est comme si tout était en permanence recouvert d'une buée pour se la jouer comme dans les films d'horreur. Enfin ça, c'est quand il pleut pas. On se moque souvent de la Russie, mais au moins dans mon pays de naissance, on se trempe pas autant le cul. Sérieusement, j'ai l'impression de vivre dans une piscine géante. Mais j'suis pas une grenouille. Je suis un prince charmant. Alors les averses, ça va cinq minutes.
Prince parlons-en, justement. Orion Prince. Une vraie plaie ce mec, si vous voulez mon avis. Pourtant, on est comme des aimants contraires qui s'attirent. Ou des aimants similaires qui se repoussent. Bon. La plupart du temps c'est mon poing dans la figure qu'il se prend pour ses remarques, mais je m'y suis attaché. C'est le seul type un peu intelligent qui traîne dans le coin. Je l'ai rencontré dans le parc du coin. Lui et sa petite troupe fumaient des cigarettes, et je leur ai proposé de les rendre un peu magiques en échange de bons procédés. Genre du fric, me faire visiter les alentours. Me servir pour améliorer mon anglais, aussi. Les mauvaises langues nous appellent "le gang du bac à sable". Et avec Prince, on va leur péter les dents.
Pour pas que lui et ses imbéciles de potes se foutent de la gueule de mon accent russe, je leur ai fait croire que ma grand mère était française, et que pour cette raison... Mon second prénom était Parfait.
Et ils l'ont bu. HAHAHA, CES DÉBILES ! Du coup, si moi mal parler l'anglais, c'est dans mes gênes, tavu ?
Allez, ciao mon pote ! Et n'oublie pas que t'es destiné à faire de
grandes choses. Je crois en toi (
il en faut bien un).
(Lieu : Angleterre, banlieue de Londres, terrain vague)
Lettre à mon futur moi²,
Salut, beau gosse.
J'ai 13 ans, ou l'âge de raison. Ah, non merde, c'est 7 ans. Je confonds toujours ces deux nombres ! Gngnhhhh. Bon. Sache que désormais nous vivons dans
un appartement en plein Londres. Hé ouais, l'ascension sociale. Pourtant, j'ai l'impression que personne n'arrive à s'y habituer. C'est bizarre, on se sent un peu tous enfermés, comme des oiseaux en cage. Papa est devenu encore plus agressif, maman n'est jamais à la maison. Mes sœurs sortent sans la permission des parents. Bref, le gros bordel.
L'an dernier, j'ai fait connaissance de mon voisin de pallier. Anselm, qu'il s'appelle. Au moins, je me sens moins seul à porter un prénom pourri.
Je l'aime bien. Nos deux vies sont tellement chaotiques que c'est assez rassurant de traîner avec lui. En réalité, j'entendais souvent des cris et engueulades chez lui. Alors un jour, j'ai décidé de le suivre. Oui bon... Je sais que c'est un peu flippant ! Mais le gars, il allait tous les jours s'enfermer pendant des heures dans une cabine téléphonique. Ça fait pas un peu forever alone, ça ?
Je lui ai demandé du feu pour ma cigarette et c'est là que l'amitié a commencé. J'te jure, ce gars c'est comme un frère pour moi. Toutes les conneries à faire, on les fait ensemble. Voler les sous-vêtements de la voisine du dessus ? Aller chourer des magasines porno dans la supérette du coin ? Jouer à des jeux à boire pour tester nos limites ? Se faire tatouer « César » et « Anselm » sur nos hanches respectives, pendant la pause café de son oncle tatoueur ? On peut clairement dire qu'on a une mauvaise influence l'un sur l'autre et qu'on se tire vers le bas. Mais peu importe, on était déjà pourris bien avant ça.
J'espère que tu es toujours ami avec lui dans le futur. Sinon, je te
renie. Ce gars-là est beaucoup trop important pour moi.
Lettre à mon futur moi³,
C'est arrivé. Le drame de ma vie. Anselm n'est plus mon ami. Il pense que je suis mort. J'ai tout falsifié. Comment en être arrivés à de telles extrémités, alors que nous étions comme cul et chemise ?
C'est simple.
Il a essayé de tuer mon père.
Je m'en souviens comme si c'était hier. Je venais d'avoir 14 ans. Et il a débarqué durant une énième dispute familiale. Et bien sûr, cet imbécile n'a pas pu la boucler. Non. Ça aurait été tellement plus simple s'il ne s'était pas interposé, lorsque mon père a levé la main sur moi. Sérieusement, il n'y avait pas de quoi en faire tout un drame et je le
méritais pour avoir encore fumé des pétards.
Alors forcément, mon père l'a mal pris et c'est là que c'est devenu moche. Vraiment moche. Et moi, je regardais la scène impuissant. Tout est allé tellement vite. D'abord, il l'a frappé. Mais Anselm a profité d'un moment d'inattention de sa part pour attraper son fusil et le menacer avec.
—
Si vous vous en prenez encore à lui, je vous tue.—
T'as pas le cran gamin.
Et boum. Un coup en plein dans l'épaule. J'aurais dû le prévenir qu'il ne fallait jamais défier Anselm. Et prévenir mon meilleur ami que mon père était quand même un putain de danger public.
Tout est de ma faute.
—
Je vais le trucider, bordel !C'est là que j'ai attrapé Anselm par la manche pour l’entraîner au dehors. Et on a couru. Jusqu'à en perdre le souffle, jusqu'à ce que nos jambes ne supportent plus notre propre poids. Jusqu'à trouver un endroit suffisamment à l'abri, à l'autre bout de Londres.
— Espèce de dégénéré, pourquoi tu as fait ça ?
— Je sais pas, César. Il... Il te frappait. Il aurait continué jusqu'à ce que tu crèves. Et tu ne t'en rends même pas compte.— Oh, vraiment ? Parce que comme tu es battu, tu penses qu'on est tous dans le même cas que toi ? Je répète ma question : Pourquoi ?
Il y eut un silence gênant. Jusqu'à ce qu'il me balance qu'il m'aime. Parce que c'est ce que font les frères. Ils se protègent entre eux.
— OK. OK, Anselm. Ne t'inquiète pas. Tout va bien se passer, planque-toi juste pendant une semaine ou deux. Ne reviens pas durant ce laps de temps. Je vais m'occuper de tout.
Et c'est là que j'ai tourné les talons. De retour à la maison, nous décidâmes d'avancer notre prochain déménagement. Nous irons en Suisse, cette fois-ci. Une chose était claire. Si jamais mon père revoyait Anselm, il le turait de sang froid. C'est pour cette raison que ma mère est venue annoncer ma mort à ses parents, leur laissant l'avis de mon propre décès. Pour quand Anselm rentrerait.
Lettre à mon moi du passé,
Salut, petite crotte.
Effectivement, je suis devenu beau comme un dieu. Pire encore, je suis devenu un
sorcier !! Tu le crois ça ? Certes, dans ma jeunesse j'avais fait flotter quelques trucs dans les airs ou des événements inexplicables m'étaient arrivés mais... Je pensais que c'était parce que j'étais complètement défoncé, que je devais limiter l'herbe. Comme cette fois où j'ai vu une fée passer devant ma fenêtre. Ou encore, quand j'ai rebondi sur un espèce de filtre transparent au lieu de tomber dans une plaque d’égouts. Mais non. J'ai reçu une lettre pour leur école de fous, et cela fait maintenant 4 ans que je découvre la magie. Et punaise, c'est fascinant ! Fait amusant : toute la fratrie a des pouvoirs. A croire que papa a une baguette magique lui aussi, mais située un peu plus bas...
Si vous voyez ce que je veux dire. Qu'est-ce que je pourrais te dire ? Je me plais bien dans ce château, et depuis mes dix-sept ans (la majorité sorcière), je ne rentre même plus à la maison en été. Les relations avec les parents se sont tendues. Certes, nous échangeons encore des lettres de temps à autre mais... Depuis que je ne fais plus partie de leur monde, j'ai réalisé à quel point ils étaient toxiques et inutiles à ma vie. Pour tout avouer, j'en arrive à un point où je me dis que ce serait pas plus mal, si les Sigmas venaient à tuer tous les témoins de la magie.
Dont eux.
Les Sigmas ? C'est cette organisation que j'ai récemment rejoint. Certes, leurs actions sont contestées dans le monde des sorciers. Parce que oui, ils n'hésitent pas à tuer ou bien à utiliser la violence pour se faire confiance. Et pourtant, leurs idées sont tellement intelligentes et pacifistes sur le long terme. Ils veulent fermer toutes les frontières, couper tous les liens entre les mondes magiques et sorciers. Et je pense que c'est le seul moyen pour que le poison et la pourriture des moldus ne nous atteigne pas. Laissons-les s'entre-tuer entre eux, plutôt que de nous prendre pour cibles.
Et puis franchement, cet univers est beaucoup trop précieux pour qu'ils le découvrent. Ici, on peut avoir un chat vert fluo en animal de compagnie. On vole à dos de dragons, les tableaux partagent volontiers des ragots et les bonbons peuvent avoir un goût crotte de nez. Oh, Parfait. Tu seras tellement heureux, lorsque tu réaliseras que tu n'es pas qu'un simple sang-de-bourbe. Je te le promets.
Feuille volante
(écrite à la main par Anselm C. Wright)
Cher Cesar du futur,
J'espère qu'à défaut d'être mort tu seras moins con. Et que t'auras arrêté de t'écrire à toi-même parce que c'est complément débile. Tu verras peut-être quelques commentaires dans la marge à une certaine époque de ta vie, prend ça comme une tentative d'essayer de dégonfler ton énorme tête. Tête qui en ce moment passe difficilement les portes. T'es toujours là, à faire ton malin et je comprends vraiment pas pourquoi y'a que moi qui semble sincèrement décidé à te refaire le portrait. Comme tu le sais déjà tu as choisi occultisme. Peut-être pour me gâcher la vie. Et t'es franchement doué, je te jure ça me tue d'écrire ça, mais t'as un sacré coup de baguette :insérer ici ricanement idiot:. Doué en métamorphose, en sortilège, en occultisme. C'est comme... Comme si la magie avait toujours fait parti de toi. Peut-être que c'est le cas. Ce qui te rend spécialement con et qui ne soigne pas ton putain d'égo.
Je sais pas trop ce que t'es en train de faire de ta vie maintenant. Peut-être qu'on s'est bagarré encore et que c'était pas réparable. Comme cette fois où il a fallu que tu te fasses passer pour mort pour que je t'explose pas la tronche ou que toi tu n'exploses pas la mienne. Peut-être que c'est moi qui fait le mort et que t'es grave triste en fait et que c'est pour ça que tu prends la peine de lire ce truc.
Mais moi je suis pas aussi doué pour me faire passer pour un macchabé. J'ai pas ton talent pour la fourberie. J'ai pas ton talent pour cacher suffisamment les preuves de mon existence. Alors je suis quasi certain que tu me retrouveras. Ou alors je suis mort et c'est ma mère ou toi le responsable. J'en sais trop rien.
Aujourd'hui on s'entend pas, ou alors on s'entend suffisamment pour se fracasser assez pour en rire. Je sais pas trop si t'as des amis, en fait on se contente de se disputer. Donc ben si tu veux des infos croustillantes sur ta vie à Poudlard j'en ai pas. Ah. Si à ce qu'il parait t'as perdu ta virginité. Avec une bien moche de 4e année. Félicitations.
En dehors de ça. Qu'est-ce que je pourrais dire ou souhaiter? Que tu sois moins con. Assez débile pour être encore du genre à croire que t'es le plus cool de tous alors que t'es juste un petit con. Que je sois plus riche que toi et que tu crèves d'envie devant ma réussite, même si moi je suis pas un super sorcier. Ouais, voilà. Bon c'est tout. Ah. Non. J'ai oublié un truc important: Va te faire foutre.