COME BACK FOR ME // CAELUM

Je me souviens, un jour j’ai aimé le silence. J’ai aimé le silence parce que rien ne m’insupportais plus que le brouhaha ennuyeux d’une conversation stérile. Et quand ce n’était pas la conversation qui était usante, les mots eux devenus murmures sur mon passage m’excédais plus encore. Alors j’ai aimé le silence et la solitude comme on aime le remède à un mal qui ronge depuis des années. Je l’ai aimé puis rapidement je l’ai détesté.

Détesté quand il devient trop lourd et tombe sur mes épaules comme une chape de plomb. Détesté quand il était embarrassé et qu’il suivait une remarque anodine sur mon bras, une expression ou alors un commentaire trop vite lâché. Je l’ai aussi détesté quand il se faisait sur mon passage et que le monde forçait un arrêt quand moi-même je m’arrêtais pour le toiser.

Puis j’ai fini par l’aimer encore quand c’était moi qui l’imposait et que je me souviens que ma réputation avait le même effet avant. J’ai fini par l’aimer, même s’il surgissait sur mon passage comme j’ai fini par m’accommoder des regards appuyés. Quand j’ai commencé à en jouer. J’ai fini par l’aimer aussi quand je l’appelais ou alors quand je le provoquais en prononçant des menaces. Je crois que je commence à l’aimer quand je n’entends plus les élèves parler. Parce que cela signifie qu’ils sont soit emmerdés, soit impressionnés, soit gênés par une de mes blagues qui moi me fait toujours très rire.

Le silence d’Atlas est reposant, c’est ce que je pense quand je constate qu’il n’a toujours pas parlé alors que nous dépassons le lac et que nous apercevons de nouveau le sentier. Je crois qu’il me regarde avec un peu trop de ferveur, pour m’assassiner peut-être et cette certitude me fait rire. Je sais qu’il aime parler, pas autant que moi, mais assez pour en baver là, tout de suite. Je me retourne et je souris, mesquin.  « Tu vois quand tu veux. » Je me dis alors que je pourrai plus ou moins profiter de la situation.  « ça me rappelle un truc. » Un truc sur lequel j’ai pas vraiment rebondi, mais en fait je pense que le moment est parfaitement choisi.   « Tu m’as dit que tu me trouvais mignon. Que tu aimais mes cicatrices. Et ensuite tu me demande de venir avec toi au bal. » Autant y aller fort. Le but étant de le faire même juste couiner, ce qui me ferait quand même gagner.  « Atlas, est-ce que c’est un rencard ? » Je m’approche de lui, toujours tout sourire.  « Ou alors une manière détournée de montrer ton affection ? » Je le fixe avec beaucoup trop d’insistance.  « Ou alors c’est autre chose qui t’intéresse ? » Je sais que ce n’est pas trop son genre, mais je le dis pour le provoquer.  « Mh?»

J'ai gagné. C'est un fait indéniable dans ma tête. J'ai gagné et j'attends qu'il finisse par craquer. En un sens il le fait. Ses bras s'agitent dans tous les sens. Je sens que son esprit est impatient de me contredire. Me faire taire. Je sais que j'ai gagné et je sais qu'il va craquer, mais il s'immobilise. Je hausse un sourcil. Il grogne. Je souris, victorieux et commence : J'ai ga- Il me saute dessus. Je tombe sur la sol - ou plutôt il me plaque au sol - lourdement. Trop lourdement. Je pousse un «outch» Mais je crois que je le hurle assez pour qu'il comprenne que c'était foutrement douloureux. Et être plaqué au sol par un demi géant n'a absolument rien de sexy. C'est juste lourd. Incroyablement et foutrement lourd.

« Tu veux me foutre en l'air les c- Je commence à geindre sans pouvoir terminer parce qu'il commence à me chatouiller. Vraiment. Me chatouiller. C'est la deuxième fois putain. Je meurs de rire et évidemment suis dans l'incapacité de bouger la main parce qu'il la bloque contre le sol. J'essaie de lui donner des coup de genoux désordonnés quand j'en suis à lui demander : «Arr- j'te ju- ok att- mais put- ok att- Deux sec- mais tu fa-» Entrecoupé de rire douloureux, j'ai perdu mon souffle et mes mots et quand je crois les retrouver je les perds de nouveau dans des éclats de rire. Putain. S'il passe sa main près de ma bouche je lui arrache avec les dents. Juré, craché. Et s'il me laisse une ouverture entre les jambes je lui détruit les parties. Ça aussi je le jure. Mais en attendant je suis toujours incapable de bouger. «STOP.» J'arrive à articuler, finalement. Le ventre toujours secoué d'éclats incontrôlables et nerveux. En attendant les cinq minutes devaient être passées. « C'est foutrement pas réglementaire comme action. » Je siffle entre mes dents, en essayant de retrouver mon souffle.

Je le fixe d’un œil plus morne que je le voudrai, malgré les petites larmes au coin de mes yeux. Ça c’est parce que je pleurais un peu de rire et de douleur aussi, parce que ses petits chatouilles sur mes cicatrices c’est un peu aussi agréable que s’il avait essayé de me chatouiller avec du papier de verre. Je reprends quand même mon souffle, esquisse un sourire quand il me dit que je n’étais pas très fairplay non plus, mais bon, personne n’a dit rien dit en ce qui concerne une quelconque attitude sportive. Alors à la place je dis :

 « Je l’admets. »

Je détourne les yeux, mon souffle plus ou moins redevenu inaudible, j’essaie de m’observer, mais je me rends compte que je suis toujours bloqué. Je repose la tête sur le sol, encore plus claqué et je soupire. Je recommence à l’observer, les sourcils haussés. Je sais pas ce qu’il se passe dans sa tête – je doute que quiconque le sache, même pas lui-même – et je me demande un peu comment il a fini par être ce qu’il est maintenant. Je connais pas sa vie et je suis pas curieux alors je sais que je lui demanderai pas, mais parfois je peine à imaginer qu’il ait été autre chose que la danseuse étoile qu’il est maintenant. Sursautant à la moindre petite chatouille, rougissant à la moindre insinuation – alors qu’il passe son temps à en faire, j’ai jamais croisé quelqu’un de plus illogique - , sautillant à chaque fois qu’une idée débile lui vient en tête – je sais qu’elle est débile parce que je passe mon temps à me méfier de ces sursauts là – ou qu’il est trop content.

Je sais qu’il peut s’énerver aussi, je l’ai déjà vu s’énerver quand j’ai cassé sa vaisselle la dernière fois et je suis du genre à faire exprès d’énerver les gens – parce que ça me plaît - ce qui me fait penser qu’il doit avoir des trucs qui viennent le hanter lui aussi, même s’il paraît insouciant et irréfléchi le reste du temps. Peut-être parce qu’il sait pas trop comment s’énerver ou qu’il préfère plus le faire. C’est quelque chose de différent et d’incroyablement suspect pour moi qui passe mon temps à râler et m’énerver, casser des trucs. Mais c’est parce que j’ai besoin de briser les choses pour me rendre compte que le verre ça coupe et que c’est en fait très con.

En règle général je sais pas ce qu’il pense, ni comment, mais je sais que c’est ce qui fait qu’il est lui et que je ne le trouve pas ennuyant. Parce qu’il est imprévisible, un peu comme moi, et que malgré ce que je râle je préfère les gens comme Atlas aux gens comme cet Isaac, très ennuyeux et prévisible professeur d’histoire de la magie. Ou alors je continue de le tolérer parce que j’ai un très sérieux problème avec les princesses.


Il finit par retrouver contact avec la réalité. Quand il me parle de l’état de ses vêtements je dis, avec plus ou moins de délicatesse :  « C’est ce qu’on me dit souvent. » Il n’avait pas le monopole sur les sous-entendus. Il propose qu’on rentre. J’acquiesce. Il se faisait suffisamment tard et je me sentais assez fatigué pour dormir et loupé les cours de la matinée. Je lève les yeux au ciel – je fais trop souvent ça – quand il me propose de terminer ça dans ma chambre et avant que je ne puisse rajouter quelque chose il s’empresse de rajouter avec trop d’entrain qu’il plaisante et me prête sa main pour que je puisse me relever. Très aimable. Je geins en m’étirant, endoloris, et finalement tout aussi transis de froid. Des gouttes d’eau continuait de tomber dans la nuque.  « Tu rigoles ou quoi j’ai carrément gagné. Alors tes tasses tu les nettoies tout seul. » Je lâche avant de rajouter.  « Et tu seras de corvée d’habilleuse pendant au moins les trois prochains mois. »