If this is to end in fire (Daisy)

Les derniers jours n'avaient été faciles pour personne. Il semblait à Daisy que trois mois s'étaient écoulés depuis la dragonrun et l'attaque des Sigmas et pourtant peu de temps avait passé. Les événements étaient encore bien présents dans les esprits. Chacun surmontait le malaise, la peur ou la colère comme il le pouvait. Beaucoup étaient dans le déni, ou faisaient semblant de l'être, tandis que d'autres ressentaient le besoin d'en parler comme on gratte une blessure mal cicatrisée. Daisy était un peu entre-deux ; les discussions c'était pas son truc mais il ne pouvait empêcher une vague d'indignation et de révolte monter en lui quand ses camarades s'inquiétaient des actions démesurées des Sigmas. Clairement, les mecs avaient un problème. Et Daisy, enfant de Moldu, avait donc un problème avec eux. Mais au milieu de ce capharnaüm, peu de gens réalisaient que l'horreur de cet événement avait occulté celle de la dragonrun. Ça ne changerait rien, comme d'habitude on remettrait des élèves sur le dos des dragons pour le plaisir de les voir voler, gagner et perdre une jambe dans l'opération.
Et ça, ça révoltait Daisy autant que les Sigmas. Certes il ne portait pas son accident comme une campagne anti-dragons avec des béquilles ou des bandages collés sur le front, et en soi il se fichait qu'on oublie qu'il avait failli y passer à cause des reptiles ; c'était l'attitude générale des amateurs du spectacle qui le révoltait.

Alors comme tout le monde, Daisy avait sa façon de surmonter le malaise, la peur ou la colère – plutôt la colère dans son cas de figure. Il avait profité que le parc était relativement désert pour enfiler sa tenue de sport et partir courir. Comme il n'avait pas de musique, il se passait dans la tête les chansons sur lesquelles il avait envie de courir et, de temps en temps, sifflotait ses passages préférés.

"You can start me up I'll never staaaaaaap !"

D'accord, peut-être qu'il ne se contentait pas de siffler. Mais les lieux étaient très calmes, il pouvait bien hurler les Rolling Stones comme une provocation à tous ces abrutis qui ne reconnaissaient pas la culture moldue à sa juste valeur – ça lui faisait beaucoup de bien. Il s'arrêta deux minutes pour reprendre son souffle quand il vit passer quelqu'un au loin, l'air aussi pressé que lui, sauf que l'autre n'avait pas l'air d'être parti pour un footing. Daisy plissa les yeux en reconnaissant Kieran, ou plutôt sa tignasse rouge feu, qui filait à toute allure vers... vers...

Vers cet endroit qu'il évitait comme la peste depuis cet accident il y avait presque un an maintenant. Daisy se demanda pourquoi Kieran allait là-bas. Daisy ne comprenait pas. Mais Daisy n'avait pas besoin de comprendre, ni de réfléchir, pour agir. Il piqua un sprint à la suite de son camarade Gryffon, hurla mentalement quand un point de côté l'assaillit et redoubla de vitesse dans sa fureur, ravalant les insultes qui lui venaient devant sa condition physique plus que faible. Enfin bon, l'accident, tout ça. Et en parlant d'accident...

Qu'est-ce que Kieran avait en tête ?

Oubliait-il que la dragonrun lui avait valu un beau séjour à l'infirmerie ?

Etait-il suicidaire ?

Autant de questions que Daisy ne se posa pas, trop occupé à rattraper Kieran en hurlant – le point de côté, tout ça – et à l'arrêter coûte que coûte avant qu'il ne se rapproche davantage. À ce moment, c'était son instinct de survie qui parlait. Alors sans réfléchir, sans même prévenir et avec toute la délicatesse de son mètre soixante-six, Daisy se jeta sur son camarade pour le plaquer au sol comme le joueur de rugby qu'il était peut-être au fond de lui.

"T'es MALADE ?!" hurla-t-il en guise d'excuse.

HJ:

Un boulet de canon. Avec presque la même violence à l'impact, réalisa Daisy en entendant craquer un os. Le sien ? Il y avait des chances... Il fallait dire qu'habituellement, son footing ne connaissait pas une fin aussi, euh... violente ? En tout cas il évitait de se jeter volontairement au sol, depuis son accident, sauf s'il devait régler un différend à la force de ses poings. Mais en général il ne se relevait pas juste après pour tendre la main à sa victime. Et... et là non plus il ne se releva pas juste après, parce qu'il avait mal atterri. Il n'était pas au mieux de sa forme. Un petit grognement lui échappa tandis qu'il roulait sur le dos. Il releva la tête, s'assit et avisa le pauvre Kieran à quelques pas de lui. Malgré le choc, il se rappelait très exactement pourquoi il s'était jeté sur lui avec autant de violence et il devait même reconnaître que c'était un très beau plaquage. Mais cette brève satisfaction ne surpassait pas l'inquiétude et le tout petit remords qu'il éprouvait face à son camarade, qui lui non plus n'avait pas l'air au mieux de sa forme. Bien sûr, Daisy n'avait pas oublié qu'il sortait de l'infirmerie... Au contraire. Mais les raisonnements de Daisy étaient parfois difficiles à suivre.

"Daisy !... 'Tin tu m'as tué sérieux..."
"AH ! PARDON, JE T'AI FAIT MAL ?"

Se manger le sol n'allait pas l'empêcher de continuer à vociférer, et quand les mots auraient pu sonner comme des excuses, dans la bouche de Daisy c'était clairement des reproches. Il fallait vraiment être dans sa tête pour suivre sa logique... Et encore. Parfois, il se demandait vraiment ce qui lui prenait. Il grogna encore un coup en se relevant et tendit la main vers Kieran pour l'aider à faire de même. Le geste pouvait faire office d'excuses, Daisy ne les formulerait pas autrement.

"Bon, c'était peut-être pas ma meilleure idée. J'ai paniqué, ok ?"

Il attendit que son ami attrape sa main pour le tirer vers lui et sensiblement à l'opposé de l'enclos, d'ailleurs, Daisy se retenait même de le pousser très vite en direction du château.

"C'est vrai que t'es pas en très bon état, mon pote", ajouta-t-il avec un petit sourire. "Pas trop de bobos ?"

La seconde d'après, son visage reprenait une expression agacée et il assenait une tape sur l'épaule de Kieran – il aurait pu le gifler à l'arrière de la tête mais il était trop petit et il voulait éviter de se ridiculiser plus que nécessaire :

"Tu crois p'têt que les dragons auraient été plus délicats que moi ?" siffla-t-il pour justifier son geste.

Il avait presque chuchoté le mot en "d", comme si le prononcer tout haut pouvait attirer l'attention des... bêtes. Daisy pouvait déjà les sentir toutes proches, les entendre bouger... il devait faire un effort monstrueux pour ne pas couiner au simple bruit de leur respiration.
Bordel de Merlin en slip il fallait qu'il se casse avant de faire une attaque. Est-ce que Kieran pouvait comprendre ça ? Il l'avait dit, il paniquait. Il pouvait l'avouer, malgré la honte que cela lui infligeait : il paniquait dès qu'on s'approchait des "d". Davantage quand "on" représentait un ami qui s'était récemment retrouvé à l'infirmerie à cause d'eux ou, mieux encore, que cet ami inconscient l'obligeait à se retrouver, lui aussi, à moins de cent-cinquante mètres desdits dragons.
L'obligeait, oui. Parce que Kieran était apparemment trop irréfléchi pour réaliser l'énormité du danger dans lequel il se précipitait tout naturellement en courant. Si l'un d'eux devait expliquer ce qui lui prenait, c'était plutôt lui... Daisy se retenait très fort de ne pas l'assommer de coups pour exprimer sa colère et aussi peut-être parce qu'il aurait du mal à le traîner loin des enclos s'il était inconscient. Il croisa les bras pour ne pas laisser échapper un geste qu'il regretterait plus tard et fusilla son camarade du regard. Il avait intérêt à avoir une très très bonne raison.
À ce stade, Daisy n'accepterait que celle du sortilège d'Imperium ou, à la rigueur, du somnambulisme.

Les bras croisés, Daisy tentait de garder son calme mais ses yeux faisaient instinctivement des allers et retours entre Kieran et les alentours, ses oreilles ne pouvaient s'empêcher de capter le moindre bruit suspect, et le plus petit craquement de brindille devenait un dragon mouvant dans leurs dos. Son ami prit appui sur lui et ce geste le ramena à la réalité. La colère de Daisy ne s'estomperait pas si facilement, surtout quand elle était le seul obstacle à la peur, mais il reporta toute son attention sur Kieran, qui vérifiait l'étendue des dégâts. Toujours en un seul morceau apparemment. Le constat ne rassurait pas des masses son camarade, il n'arrivait pas à oublier dans quel état il l'avait vu à l'infirmerie. Il avait eu du mal à lui rendre visite. Le lieu lui était trop familier pour que Daisy se laisse impressionner par son décor blanc et impersonnel, mais c'était une chose d'y soigner souvent ses propres bobos, une autre d'y voir ses camarades. Daisy pouvait sans peine imaginer ses amis Kieran et Siham à sa place dans le lit qui l'avait accueilli à Ste-Mangouste après la dragonrun ; il avait craint que cette vision ne se confirme s'il leur rendait vraiment visite. La réalité avait été moins effrayante que ce sur quoi son imagination avait déliré, mais ça ne rendait pas les blessures de Siham et Kieran moins impressionnantes ou le souvenir plus facile à oublier. Aujourd'hui encore, Daisy se demandait s'il avait bien fait de leur rendre visite. Mais Kieran aussi, il était venu quand lui était cloué au lit. Il lui devait au moins ça.

Il ne voulait simplement plus avoir à le faire.

Kieran essaya de le rassurer, lui affirma qu'il n'allait pas entrer... Daisy grimaça. Il n'avait pas l'air convaincu par ses propres paroles :

"... mais j'avais besoin de le voir."

Daisy suivit le regard du rouquin par réflexe et le regretta aussitôt. Il avait aperçu des écailles à travers la palissade de l'enclos, des écailles de dragon qu'un éclat de lumière sublimait. C'était juste un coup d’œil involontaire, mais dans cet aperçu très bref il visualisa le vert foncé des écailles du Cornelongue sous les rayons du soleil et en un battement d'ailes dorées ils étaient dans le ciel. Daisy recula, surprit par la vivacité du souvenir et surtout choqué de réaliser que le dragon de Kieran était de la même espèce que celui qu'il avait chevauché. Peut-être était-ce le même.

"Déconne pas."

C'était juste un marmonnement et Daisy l'avait articulé en baissant la tête, comme lorsqu'il parlait le nez dans son écharpe Gryffondor ou sa parka – sauf qu'il n'avait rien pour se planquer à ce moment-là, juste son t-shirt et son pantalon de sport. Les mots en eux-même pouvaient aussi bien s'adresser à Kieran qu'à ses souvenirs qui avaient décidé d'en remettre une couche, comme si se trouver là n'était pas assez difficile. Daisy se serait baffé si ça avait pu lui remettre les idées en place ; au lieu de ça il fronça davantage les sourcils devant les explications maladroites de son ami et se rappela à quel point il était en colère – en colère, pas terrifié :

"Je sais pas.. c'est plus fort que moi... Je me dis que si je reviens pas maintenant le voir.. Je le ferais jamais... et je pourrais jamais le faire... tu comprend ?"

Daisy comprenait- mais non, il ne voulait pas comprendre, c'était trop dangereux. Était-ce du courage, vraiment, d'affronter bien en face la raison de son accident – d'affronter sa peur ? Ou de la fierté mal placée ? Il n'en avait pas l'air Daisy, avec ses airs m'enfoutiste, mais il avait beaucoup de fierté, surtout mal placée, avant son accident. Maintenant il considérait que sa survie passait avant. Contrairement à Kieran, Daisy n'avait jamais ressenti le désir ou le besoin de retrouver le dragon qui avait causé son accident. Et "causé" était un bien grand mot, Daisy aussi avait sa part de responsabilité, mais disons que le reptile ne s'était pas retrouvé six mois à Ste-Mangouste, lui. L'idée ne lui avait jamais traversé l'esprit, il avait plutôt tenté de penser le moins possible aux dragons et ça avait relativement bien fonctionné depuis son hospitalisation. Bien sûr, il avait joué et rejoué l'accident dans sa tête, durant ces longs mois de convalescence, surtout ceux où il ne pouvait pas encore bouger, mais à force il avait réussi à les caser dans un coin de son esprit comme des souvenirs très désagréables, et c'était ce qu'ils étaient maintenant : juste des souvenirs. Alors quand quelqu'un mentionnait les reptiles ailés, Daisy les traitait comme n'importe quel souvenir : avec beaucoup de recul. La distance était simplement plus aisée à faire dans son esprit que dans la réalité. Surtout face à quelqu'un comme Kieran, qui avait eu un réflexe complètement opposé au sien. "T'es jamais revenu", non Daisy t'es jamais revenu. Ça ne t'a jamais posé problème jusqu'à présent mais dit tout haut ça a presque les airs d'un reproche, alors que c'est prononcé par Kieran, son sourire sincère et les yeux dans les tiens.

"Peut-être, ouais. Et alors ?"

Il y avait de la colère dans cette voix, mais elle n'était plus dirigée contre Kieran, ou prétendument dirigée contre lui, c'était contre Daisy qu'elle éclatait cette colère parce qu'il était le seul responsable, il le savait, de cette peur qu'il essayait de cacher. Il ignorait ce qu'il pouvait répondre à ça, il pouvait dire "non", tout simplement, ce n'était pas un secret, mais il ressentait le besoin de se justifier et ça l'énervait. Peut-être parce que Kieran était plus courageux que lui. Plus digne de leur maison, sûrement. Daisy avait toujours les bras croisés, comme s'ils pouvaient le protéger du dragon à quelques mètres d'eux :

"Tu crois que ça changerait quelque chose ? C'est vrai après tout, qu'est-ce que tu risques à part te retrouver une deuxième fois à l'infirmerie, ou pire ?"

Mais t'as qu'à y aller. T'as qu'à y aller et si tu te fais bouffer je leur dirais que je t'avais prévenu. C'était toujours plus facile de râler que d'avouer la vérité. Daisy recula encore de quelques pas, comme pour se désolidariser de l'entreprise suicidaire de son ami. Il savait pourtant que si Kieran avait le malheur d'avancer, il le retiendrait même s'il devait le stupéfixier pour le ramener au château. Parce que s'il n'y arrivait pas, si Kieran entrait dans cet enclos, alors Daisy ne pourrait pas l'aider.

Incapable de parler clairement de la peur qui le tenaillait, caché derrière un semblant de colère, braises de rancœur et de chagrin qu'il alimentait sans même s'en rendre compte, parce qu'il était plus facile de se planquer derrière un rideau de flammes brûlantes prétendument protecteur. Il savait pourtant, Daisy, à quel point le feu était dangereux. Mais il préférait fermer les yeux, évoluer du côté de ceux qui ne voyaient pas, et en cela il était semblable à ceux qui faisaient l'impasse sur le danger des dragonruns ou sur les Sigmas : lâche.

"Daisy..."

Daisy n'écoutait pas, parce que le feu de sa colère lui bouchait les oreilles, ou peut-être parce qu'il avait peur d'entendre ce qui se disait derrière. Rien que la vérité honnête et pas belle à confronter. Un peu comme les cicatrices qu'il refusait de voir, ou d'effacer. Plus que la colère, c'était la confusion qui régnait dans l'esprit de Daisy, parce qu'à enterrer rapidement les mauvais souvenirs il n'avait jamais pris le temps de les analyser, de les comprendre. L'hésitation se ressentait quand il reculait sans fuir, acceptait le contact de Kieran mais hochait la tête en signe de dénégation ou hurlait en silence. Je ne peux pas.

Pourtant une partie de lui était soulagée que Kieran soit là avec lui face aux enclos, qu'il ne soit pas le seul à trembler, un peu, au souvenir des monstres d'écailles, à la morsure de leurs flammes, aux gestes lents de leurs ailes dans un vol majestueux... Ce n'était pas si difficile de basculer de l'autre côté, en vérité. Il y avait juste un trou béant entre le Daisy blessé et le gamin émerveillé qui rêvait de les toucher. Il lui fallait un pont, quelque chose auquel se raccrocher. La main de Kieran sur son épaule était bienvenue.

"Je sais bien... qu'ils sont pas méchants", avoua Daisy en réponse aux paroles rassurantes de son ami.

Il avait la voix un peu rauque, à force d'avoir crié peut-être – ou alors il était en train de choper froid, parce que transpirant et en t-shirt par de telles températures, voilà... Peut-être parce que ça lui faisait un peu mal, aussi, de se mentir sur l'intention des dragons. Évidemment qu'ils ne voulaient rien leur faire. Daisy ne considérait pas les créatures d'écailles comme foncièrement mauvaises. Mais elles étaient imprévisibles. Et à leur place, à tourner en rond dans un enclos, lui aussi, il pèterait une durite de temps à autre. Pas étonnant que les courses soient si catastrophiques.
Ce n'était pas la faute des dragons.
Mais c'était quand même eux en face de lui et le jour de l'accident, ce n'était pas le directeur ou un quelconque dragonmaster qui lui avait perforé l'estomac, alors Daisy n'en démordrait pas : s'approcher d'un dragon restait dangereux. La main de Kieran se resserra sur son épaule, l'empêchant de beugler encore tout haut ce qu'il pensait. Au lieu de ça il serra les dents et répondit un peu plus calmement :

"C'était le vert." Il refusait de dire Cornelongue, ça lui rappelait trop sa corne, justement. "Celui-là, là. Le même que toi." Il pinça les lèvres. "Enfin j'en sais rien, c'était peut-être un autre individu."

Bizarrement il ne voulait pas que Kieran flippe sa race en imaginant que le dragon qu'il avait monté l'autre fois était un psychopathe. Il jeta un regard embarrassé à Kieran, mais ne bougea pas. Ne recula pas non plus. Il n'avait pas envie d'approcher davantage, mais il lui donnait la permission de rester là à côté de lui et à côté d'eux. Pas trop proche mais pas trop loin non plus.

"J'ai pas suivi grand-chose de la course mais il me semble que le tien était un peu différent."

Ça ne l'avait pas empêché de cramer Kieran bien sûr, mais Daisy avait quand même une impression tout autre face à ce dragon, pas celle qu'il s'attendait à ressentir devant la créature qui l'avait collé dans le lit dans Ste-Mangouste, alors il se disait que c'était peut-être un autre. C'était aussi plus rassurant, parce que se trouver face à l'enclos, apercevoir les écailles au travers – il les voyait bien, depuis là – et se rappeler à quel point il aimait les dragons, c'était assez difficile comme ça sans devoir en plus lui coller un nom. Les yeux rivés sur l'enclos, un rire nerveux lui échappa :

"Entre nous, tu peux me le dire que tu flippes ta race, Kieran."

Parce que moi je flippe ma race.

C’était un peu rassurant d’entendre Kieran avouer qu’il flippait aussi. Déjà parce que Daisy se sentait moins seul, ensuite parce que ça voulait dire que son ami avait quand même un minimum d’instinct de survie. Un rire lui échappa et le blond leva les yeux au ciel ; c’était pas le moment de plaisanter. Et vu son état il allait se fêler une côte. Il retint un petit commentaire du genre "t'es con", quand même, parce qu’il comprenait : il avait presque envie de rire lui aussi, tellement il était nerveux. La situation était risible, franchement, si on lui avait dit une heure plus tôt qu’il allait taper la discut' avec Kieran à propos de leurs peurs respectives devant l’objet des dites peurs, il se serait marré aussi.

"Honnêtement ? Je suis surpris que personne ne l’ait encore viré", commenta Daisy, à présent franchement agacé. "Ce mec est tellement irresponsable."

Le directeur, parlons-en... Qui laissait des élèves monter sur des dragons que l’on savait imprévisibles ? Kieran avait raison bien sûr, les créatures magiques n’étaient pas foncièrement mauvaises, mais elles étaient sauvages, et les dragons comme les licornes ou les hippogriffes pouvaient se montrer dangereux si on ne savait pas les approcher comme il le fallait. Et la méthode de l’école, pour ça, c’était plutôt "apprenez sur le tas, après tout les erreurs forment la jeunesse !" Pour le coup ça formait surtout des hématomes. C'était seulement quand on avait survécu à assez de dragonruns que l'on pouvait vraiment approcher les dragons et donner des conseils aux futurs victimes. Franchement, c’était quoi cette méthode d’apprentissage inversé ? Charles Darwin approuvait la sélection naturelle, mais quand même. Et encore, on ne parlait même pas du fait que la moitié des dragonrunners n’étaient pas consentants, parce que c’était le directeur qui les choisissait. Le mec avait fait la guerre, c’était pas possible de raisonner comme ça autrement. En tout cas la lettre pour Poudlard précisait pas qu’on subissait un entraînement de warrior en lien avec la formation de sorcier. On signait pour la magie et le rêve (et les devoirs trop chiants en Divination), pas pour les missions suicides à dos de dragons.

Kieran grogna en s’appuyant un peu plus sur Daisy mais ce dernier ne dit rien, se contentant de froncer les sourcils et de faire la tronche pour la forme. C’était pas le moment de l’engueuler vu son état, en plus Daisy était un peu responsable.
Mais quand même il aurait pu éviter de se balader comme ça tranquillou s’il morflait à peine il recevait un petit coup dans le ventre hein (hem). La mauvaise foi...

"Ils ont même pas de noms... c'est triste.. Moi je l'avais appelé Ancalagon.. je trouvais que c'était assez cool.. et toi ?"

Le blond abandonna quelques instants sa tronche de pitbull pour hausser les sourcils, surpris. C’était pas une question qu’il s’attendait à entendre là comme ça. Ancalagon... Il avait presque peur de prononcer ce nom tout haut. Mais ça sonnait bien, quand Kieran le disait, c'était un très beau nom.

"C'est classe comme nom. Ça t’es venu comment ?" Il risqua un regard en coin vers l’enclos. "Moi euh... Je sais pas, quand je l’ai vu le jour de la course je me suis dit que c’était un peu bizarre de le nommer. Je le connaissais pas encore, je savais pas comment il était et comment il... réagirait."

Pour le coup il avait bien vu comment il réagissait, hein. MAL.

"Ça rejoint un peu ce que tu dis : c’est débile de nous faire monter sur des créatures qu’on connaît pas."

Si ça se trouvait le dragon s’appelait Poney ou Pâquerette en plus, et personne ne le savait. Parce que personne ne pensait à donner un minimum d'infos aux personnes qui allaient les côtoyer de près. Et possiblement les vexer en les appelant Pâquerette – même si Daisy vous dirait que c'est un très bon nom.

"Ils sortent pas de n’importe où, ces dragons. Je veux dire, on pourrait quand même prendre la peine de faire les présentations."

Il regretta ça presque au moment où c’était sortit de sa bouche.

"PAS MAINTENANT HEIN KIERAN."

Il ne savait pas pourquoi il sentait que ça allait lui donner de mauvaises idées et il ne voulait surtout pas lui donner de mauvaises idées, surtout pas CE GENRE de mauvaises idées. Alors peut-être qu’il avait un peu haussé le ton par principe, par contre la main qui avait empoigné le col de son ami pour retenir une fuite imaginaire c’était pas du tout contrôlé. Le regard de Daisy était très clair cependant : tu restes là. On reste là. Me laisse pas tout seul plz.