river flows in you (ft. serge)

T’avais presque oublié la fatigue pesante sur ton visage, comme hypnotisé tu buvais les paroles de Serge comme une eau de jouvence. Tu n’as pas vraiment besoin de rajeunir – tu trompes déjà assez comme ça les apparences – mais tu devais avouer que ce genre de conversation faisait réellement du bien. Parler librement même si tes paroles ne se délient pas si facilement, Serge avait cette patience que sans doute personne  de lui soupçonnerait en tant normal, attendre juste que tu parles, comblant tes mots par les siens parfois. Mais pour le moment, il ne semble pas réagir à ton invitation, tu demeures le bras tendu, la tête lever à chercher l’ombre d’une querelle dans son regard sans qu’elle ne soit réellement là. Tu le penses, mais tu vois, moi, ça m'intéresse. Je ne t'aurais pas posé la question sinon. Je suis sûr que tu as énormément de choses amusantes à raconter, ça ne te vient peut-être pas sur le moment ou ta conscience t'empêche d'en dire plus, je ne sais pas.   Bizarrement, ça te touche un peu, quelques papillons dansent et tu baisses le regard un court instant, la surprise décorant de façon agréable les traits agrandis de ton visage.  Suite à cela, il vient s’asseoir l’air de rien, effaçant doutes et craintes.

Le regard rivé sur le paysage, à s’en imaginer d’autre plus fantasques tu laisses la présence de ton ami te bercer, tendant les jambes pour légèrement les balancer, les mains sur le rebords pour prendre ton appui contre les vents menaçants. J'ai effectivement passé mes années ici, j'étais à Serpentard. Tu tournes la tête vers lui, captivé instantanément par son discours. Le laissant parler à sa guise même pour quelques noirceurs, quelques malheurs qu’il devait soigneusement cacher. Et ainsi il te raconte sa jeunesse, dans la plus brève des manières mais assez pour que tu comprennes le personnage qu’il était. Pour résumer je n'étais qu'une ordure qui ne pensait qu'à sa poire. Pour résumer, il n’était qu’un jeune homme qui ne supportait pas être seul - tu avais préféré comprendre.  Et regarde, paradoxalement je suis devenu professeur. Plus jeune, ils étaient ceux avec qui je m'entendais le mieux. Aujourd'hui, c'est plutôt le contraire, j'aime beaucoup mes élèves. Je trouve la vie assez drôle par moment. Il te fixe en disant cela et tu lui rends un regard plein de question. Il avait sans doute raison,  t’essaies de te remémorer encore une fois ces années passées. A te cacher derrière les livres, des fois plus qu’a les lire, à esquiver des regards en prétendant contempler le vide. Mais tu n’aimes pas vraiment te l’avouer, ou pire le penser, la peur n’est pas une chose qui fait avancer. Tu l’avais bien compris, le fantôme d’un sourire triste semble transparaître sur ton visage, mais tu te reportes sur les propos de ton ami de peur d’être remarquer. C’était inutile de s’attarder et une nouvelle fois, tu oublies simplement.

J'y pense, j'ai trente-et-un ans et je ne suis toujours pas marié. Je ne suis pas du genre à me soucier de l'avenir, mais ça ne me rajeuni pas tout ça, le temps passe plutôt vite quand on y pense. Néanmoins quand je vois certains de mes collègues, ça me rassure.  Il rigole et tu souris. Tu ne t’étais jamais réellement posé la question, tu avais cette mauvaise manie de vivre au présent, te projeter n’était pas ton fort et tu préférais être spontané au quotidien. D'ailleurs, je ne t'ai jamais posé la question mais maintenant que j'y pense, tu as quel âge ? Tu es sans doute plus jeune que moi, vu la pureté de ce visage. La pureté de ton visage ? Tu le fixes ne comprenant pas, passant les mains sur tes joues comme pour chercher un signe de pureté, d’impureté … Qu’importe.

J’ai vingt-cinq ans. Tu sembles presque blasé. Et je travaille ici depuis deux ans, enfin pas vraiment, l’an dernier je n’étais encore qu’assistant, l’ancien bibliothécaire préparait son départ. Tu as un petit sourire mais te revoilà à contempler le vide, balançant tes jambes. Mais je suis comme toi, je vois le temps passé et je n’ai pas vraiment fait grand-chose … Je veux dire euh … Je n’ai pas vraiment de projet de mariage en cours. Mes parents ont commencé à se poser des questions… Pas pour le mariage mais euh… Je ne parle pas de ce genre de chose habituellement mais on va dire que je n’ai jamais aborder de femmes et inversement.. C’est extrêmement gênant à avouer d’autant plus que tu es de nature pudique à éviter ce genre de sujets car ils sonnent dans tes oreilles peu poétiques. J’ai toujours été un peu bizarre, que c’est normal si les filles ne m’approchaient pas … Je veux dire… Je n’ai pas la carrure d’un héros de mythe hein. Tu accentues tes paroles en désignant de toi-même ton torse.  Mais que ce soit moi qui ne souhaite pas les aborder de cette façon… Je Et tu réalises que tu as sans doute trop dit, tes mains sont moites contre la pierre et tu baisses la tête. Noncestpasimportant... jevaisarreterdeparlerjrjggjrk tu marmonnes dans ta barbe sous la pression.