Cela ne va sans doute surprendre personne, mais j'ai toujours absolument adoré Noël. Ab-so-lu-ment. Est-ce que vous connaissez une seule autre période de l'année où les gens sont aussi authentiquement heureux? Où les cadeaux sont offerts par pur esprit de générosité? Une attention, même mince, pour dire que l'on pense à vous. Oui, plus encore que Noël, je crois que j'adore chercher des cadeaux de Noël.
Le paradigme de l'amour, de l'amitié, de tout ce que vous voulez de plus doux, enrubanné.
Je suis extatique, cela va sans dire, pour cette journée de repos que je vais pouvoir toute entière consacrer à la recherche des présents parfaits. Le froid me mord les joues lorsque, d'un pas conquérant, je m'élance hors du château pour déambuler à ma guise dans les rues de Pré-au-Lard. Le froid me mord les joues, et je n'en ai que faire. Si le Père Noël se préoccupait du froid lorsqu'il entreprenait sa tournée, on ne serait pas rendu! J'ai bien d'autres choses à penser! Il faudrait que j'arrive à trouver un livre intéressant pour Darwin, un livre un peu ennuyeux pour moi et pas tellement pour lui, un livre qui lui fasse penser à moi parfois, peut-être un livre que j'aurais lu? Je ne lis pas de livres. Peut-être que je pourrais lire un livre, et lui offrir après? Ce serait mon double cadeau : avoir travaillé, pardon, avoir lu, et puis ensuite le lui donner? Je pourrais même lui dédicasser! Il faudrait un message original, ou juste quelque chose d'un peu différent de ce que l'on trouve sur tous les livres. Et puis, d'abord, quel livre, bon sang? Un pas trop long, peut-être. Un petit roman. Ou, non, mieux, une nouvelle! C'est parfait, une nouvelle. Je la lirai dans un placard, pour qu'il ne le remarque pas.
Mes pas s'enfoncent dans la neige aussi profondément que mes pensées. Je sens le froid envahir mes chaussures que je n'ai pas voulu changer, atteindre mes pieds. C'est donc ça, que j'ai oublié! Mes chaussettes. Il me semblait bien que mon accoutrement avait quelque chose de singulier.
Joan voudrait sans doute de la couleur pour ses cheveux, ou pour ses joues, ou pour ses lèvres. Joan a déjà tellement de choses pour elle, c'est à ne pas savoir où donner de la tête. Je pourrais lui offrir une platine magique qui joue toute seule, ou bien ces petits avions en bois que j'ai vu il y a quelques jours, ceux qui déposent vos pensées où bon vous voulez! Ou alors, ou alors, je pourrais essayer de lui dessiner quelque chose, de la dessiner elle, ou de dessiner son groupe de rock préféré, ou de dessiner rien du tout, juste de l'abstrait, juste de tout et juste de rien, comme je ne sais pas trop dessiner, ce serait sans doute parfait. Ou alors, je pourrais faire transporter mon dessin par les avions en bois. Mais que fais-je de la platine?
Pour Tullie, des bonbons, rien que des bonbons, jusqu'à ce que ses dents la lâchent. Je pousse la porte de chez Honeydukes, tout en me rappelant, en déchiffrant l'enseigne rayonnante, qu'il me faudrait aussi un cadeau pour Duke. Pour Duke, j'achèterai des paillettes. Quelque chose de brillant. Une couronne! Il serait le roi. Peut-être qu'il ne la porterait pas? C'est toujours plus compliqué de trouver un cadeau pour un garçon, et pourquoi donc? Je n'ai pas de problème avec Darwin mais Darwin, ce n'est presque plus un garçon, c'est comme mon grand frère, ou mon petit frère, mais plutôt mon grand frère. Je fronce les sourcils en parcourant des yeux les étagères pleines à craquer de bocaux, eux-mêmes plein à craquer de confiseries en tout genre. Je ne sais même plus sur quoi me concentrer : Duke ou Tullie? Et mes chaussures fuient dans une flaque glacée à mes pieds. Ça ne va pas du tout, je ne dois pas m'éparpiller, je ne dois pas m'éparpiller, je-ne-dois-pas m'éparpiller...
— Salut Miller. Dis-moi tu pourrais me dépanner de quelques mornilles ?
Je pivote la tête, les lèvres tordues dans une moue peu convaincue, espérant vaguement que le ton arrogant ayant surgi dans mon dos n'appartient pas à l'abruti que je pense être. Un rapide coup d’œil me conforte dans mes soupçons. Hm. Dommage.
— Oh, salut Argugus Jones. Ton imbécile de copain n'est pas là pour te sauver?
Clementine, voyons, c'est presque Noël, tu peux faire mieux que ça. Qui serais-tu pour ne pas même pardonner dans une période comme celle-là? Une mère est au-dessus de tout ça. Soit. Mais seulement pour les quelques jours à venir, ni plus ni moins. Et s'il fait la moindre réflexion goguenarde sur Tullie ou qui que ce soit, je l'égorge. Poussant un profond soupir, je plonge ma main dans la poche de mon manteau, me débattant vaguement avec la doublure dans laquelle sont tombées mes pièces, faute à ce fichu trou. Il faut vraiment que je pense à m'acheter de nouvelles fringues.
— Désolée, tiens. Tu fais tes courses de Noël, toi aussi?
Je suis presque trop polie. Et d'ailleurs, tant qu'à faire.
— Et d'ailleurs, tant qu'à faire, qu'est-ce que tu t'offrirais?
Argus est bien un garçon.