Vous allez mourir dans d’atroces souffrances, je présume.Comme votre premier mari ?Le gosse n’est pas mauvais ; juste bête. L’adolescence est pourvue de restes de questions criantes de vérité. En cela, Saga avait quelque peu du mal avec les adolescents, autant qu’avec les enfants.
De ses deux grands yeux, il la fixait, elle, debout devant lui, sa petite tasse de thé vide dans le creux de sa paume statique. Elle ne bronchait pas. Des bougies ci et là permettaient d’apercevoir la chevelure blanche de Saga et son regard, fermé.
Son ton demeure toujours calme dans sa salle de cours, même lorsqu’elle est furieuse. Mais cette fois, sa voix coupa l’air, sanglante. Poussé par le démon de la curiosité, le môme s’était aventuré sur une route dangereuse, là où des éclairs de stupéfix peuvent arrêter le corps, et plus encore, arrêter le coeur.
Il avait demandé la vérité ?
Il aurait la vérité.
Non, il n’a pas eu le temps d’avoir mal.Elle repose la tasse avec calme, le tintement de la porcelaine sur la table à peine perceptible.
Elle sent toute la classe se paralyser dans l’attente.
J’avais visé la tête.*
Yorick supposait qu’il n’était pas né là où il aurait du l’être.
Il regardait le ciel et n’en détachait pas souvent le regard : c’était un rêveur. De ceux qui planifient des choses folles mais dont on croit vraiment à la réalisation. Saga riait souvent de lui, une taquinerie bienveillante trempée dans un amour dégoulinant. Il souhaitait atteindre les plus hauts grades de la brigade de police magique. Être reconnu. Devenir quelqu’un.
Mais si Yorick avait tout pour l’être, le courage, la fougue, la détermination, il n’en avait pas les capacités. Il fouettait sa baguette en l’air mais peinait à atteindre sa cible, et si Saga faisait mine de ne pas le voir, elle pouvait du coin de l’oeil lire sur son visage la frustration, aussitôt effacée par la motivation.
Yorick n’était pas un combattant ; c’était Saga qui l’était.
Elle l’était parce qu’aujourd’hui elle ne dégaine plus aucune artillerie que sa propre voix. Elle a rangé sa baguette dans son écrin et rares sont les fois où on l’a aperçu la sortir pour en faire un quelconque usage.
Saga avait la technique d’une grande tireuse d’élite — précise, méthodique, rapide. Ses pas semblaient flotter au dessus du sol et son oeil aguerri apercevait les cibles à un large périmètre.
Saga savait lire dans le regard le prochain sortilège. Elle était infaillible.
Mais elle était lâche.
Jamais ne se serait-elle mise au travers du chemin d’un sortilège pour l’un des siens ; Saga a craint la mort dès qu’elle a su combien la vie était fragile. Elle porte son existence comme un verre de porcelaine. Elle se moque que ce récipient soit comblé — elle n’aspire qu’à le garder intact.
La vie a la délicatesse du verre. Saga a l’impression que sa peau est faite de papier, prête à brûler, à être déchirée, écrasée. Sa charpente sélacienne, même avec sa couverture de ligaments, de nerfs et de tendons, peut s’effriter.
Saga a simplement conscience avec quelle facilité on peut ôter la vie. Elle a mesuré dès les premiers rapports de travail de son père la chance d’habiter un corps aussi vulnérable.
Pourtant, elle n’avait jamais compris à quel point il l’était jusqu’à ce jour.
Mission banale — de celle qu’on attribue aux bleus, aux petits nouveaux. Il s’agissait simplement de faire une patrouille nocturne près des chutes de Yosemite, en Californie. Du petit trafic de potions volées, des petits gredins insignifiants qui, possiblement, pouvaient se trouver là bas ce soir là.
Yorick était avec elle, campant en sa compagnie et d’autres collègues. Tous aspirants à être promu, à intégrer officiellement les rangs de la brigade de la police magique du MACUSA.
Il a fallu rien qu’une seconde pour que tout se transforme : que le feu allumé si chaleureux devienne si inquiétant, que les coups de baguette filent dans l’air et qu’une course poursuite éclate en pleine nuit.
Elle se souvient de la peur au creux de son ventre, de la panique, de la crainte pour sa vie. Elle avait beau aimer Yorick : elle ne pouvait pas s’en empêcher.
Elle avait plus peur pour elle que pour lui. Une peur irrationnelle, car elle s’en sortait toujours beaucoup mieux que lui. Mais ne subsistait en elle rien de comparable à sa détermination professionnelle.
Près des chutes, elle était sortie en trombe d’entre des arbres et avait aperçu une silhouette menaçante, combattante. Haletante, Saga sentait le démon de la peur lui bouffer les entrailles, car elle était seule. Jusqu’à ce qu’elle voit quelqu’un, de l’autre côté, lancer un sortilège vers l’inconnu qui riposta.
De concert, elle avait balancé son stupéfix trop puissant (c’était le sortilège qu’elle réussissait le mieux) en plein dans le front de ce bonhomme qui, chancelant, tomba à la renverse, se cognant sûrement aux parois trempées de la chute
fracassant son crâne
brisant ses os.
Crevant son coeur.
Elle n’aurait pas visé de la sorte si elle avait su que c’était Yorick, qui se tenait là, et qu’elle n’avait fait qu’aider un sorcier criminel à l’envoyer dans la fosse.
Mission terminée — on en déduisit que c'était accidentel, mais qu'elle devait se retirer de la brigade.
Ils n'eurent pas à lui demander.
Quand elle repense à ce jour, elle en revit chaque seconde plus intensément. Elle peut se souvenir du froid soudain autour d’elle lorsque, finalement neutralisés, ils avaient retrouvé le corps sans vie de Yorick, ses habits encore trempés, sa main serrée contre sa baguette.
Il faisait beau, ce matin là. Le sang brillait.
Mais après cela, Saga préfère oublier.
Par la suite, il y eu Piers, Macky, Arsen, Camille et Remo. Chacun périt d’une manière différente, enfin, c’est ce que l’on raconte ?
Encore une fois, Saga préfère oublier.
D’horribles voix ont marmonné qu’à chaque fois, elle l’avait fait exprès.
Alors elle a toujours tut la vérité, comme si elle ne voulait rien démentir. Comme si se défendre abîmerait sa faible carapace.
Or, la vie est fragile. Elle ne veut ni la brusquer, ni la secouer.
Elle se laisse couler. Saga l’a bien compris ; devant un présumé coupable, on écoute rarement les dires du futur condamné.
Elle avait baissé la tête et accepté, accepté que les mensonges graviteraient autour d’elle jusqu’à la fin, et que finalement
finalement
ça lui plaisait bien.
Un manteau de nébulosité qu’elle n’ôterait jamais.
jamais.
jamais.