S'réveiller avec la gueule de quelqu'un d'autre ++
Se réveiller avec la gueule de quelqu'un d'autre, putain c'que c'est chiant.
Évidemment qu'il voulait être différent,
l'Eden, il avait toujours eu l'envie, non,
le désir ardent, la frustration, d'être différent ; mais on l'répète jamais assez :
putain, se réveiller avec la gueule de quelqu'un d'autre, c'que c'est chiant.Y a des fois où tu t'reconnais même pas dans la glace ; sérieux, c'est pas bien lourd ça, de pas être capable de se reconnaître soi-même ? Tu te brosses les dents tranquille, tu relèves les yeux et tu restes placide devant un visage qui n'est pas le tien.
Dépossédé.On sait plus vraiment qui on est ; plus le même visage, les même cheveux, la même stature. On est plus vraiment
soi, si ?
Surtout au réveil bordel, c'est sacré le réveil. Et là, c'est un réveil bordélique, juré !
Où en étions-nous ?
Le réveil !
Un visage différent.
Eden n'est plus vraiment Eden.Il a pris l'habitude, le mec, t'sais ; habitué à se lever avec des cheveux plus longs – trop longs – des yeux bruns et un rictus qui n'est pas le sien. Il a l'habitude, quand il dévisage trop quelqu'un, de sentir que quelque chose cloche – le voir dans les regards écarquillés, abasourdis,
choqués peut être.Ok, ça, ça l'amuse peut être.
De voir le choc, la déroute,
le dégoût parfois ; ça l'amuse d'être
différent, de montrer que fuck off, il en a rien à battre !
Sauf quand il n'est plus lui même.
Dépossédé.Par ce visage, cette identité qui ne colle plus, ce regard dérouté qui était jadis le sien. Mais il est habitué, désormais ; il gère pas beaucoup plus que la première fois,
mais il s'en fout.Il s'en fout de tout, Eden.
Il est rodé.
Rodé à la vie, rodé à l'ennui.
Quoique cela a le don de l'amuser ! Eden aime se souvenir de son père lâchant sa tasse – BIM ! Magnifique parquet, éclaboussé, abîmé,
boss maman-pas-contente à venir – et de sa mâchoire qui tentait de se détacher en vain. Eden aime se souvenir de sa voix qui restait dans sa gorge alors qu'il savait pertinemment – mais n'y pensait pas encore – que maman lui ferait sa fête. Eden aime se souvenir de son expression reflétant le cheminement interne de son paternel, la compréhension, la perplexité ; Eden aime se souvenir de ce malaise et cette impression de, quoi...
différence. Il aime se souvenir que pour la première fois, Eden n'était pas « le fils de », Eden
n'était plus « le fils de » ; Eden était le gamin aux visages interchangeables et aux nez tantôt retroussé, tantôt cassé. Eden était lui pour la première fois, Eden l'était enfin alors qu'il n'était plus personne – ou trop de chose à la fois.
Dépossédé.Mais Eden n'était plus « le fils de », alors Eden était heureux. Eden pouvait enfin s'foutre de la gueule du monde – il allait bien en profiter, de c'truc là, ce don,
ce problème, comme on veut.
Il n'empêche.
Se réveiller avec la gueule de quelqu'un d'autre,
putain c'que c'est chiant.