Les gargouilles gargouillent.
Et c’est bien.
Quand la décoration se tait, cela présage toujours de quelque mauvaise chose. Comme la vérité qui s’annonce tambours battants. La vérité rude. Ou la réalité qui éclate avec un rire gras. La réalité rustre.
Cecil observe les êtres qui bougent. Au-dessus de lui, les gargouilles. Là-bas, une fille. Les statues ne font pas attention à lui. C’est normal. Il est trop petit. Trop blond. Trop enfant. Il est hors monde. Hors maturité. Hors influence. Qui s’en soucierait ?
Les gargouilles devisent sans lui.
Tant mieux.
Quand la décoration bruisse, les mondes se colorent d’eux-mêmes. Les contes des cathédrales éternelles émergent. Les enfers beiges sans pitié s’illuminent. Le gothique et la féérie ont besoin de la dureté des pierres pour naitre.
Derrière les yeux de Cecil, dans son âme assoiffée de fables, des foules de gargouilles musent un chant tribal. Bientôt, elles s’envoleront pour la grande migration, vers le nord, là où le soleil tapera moins fort leurs ailes de sable platiné. Les femelles enceintes ont des ventres ronds et mignons. Derrière les yeux de Cecil, dans son âme assoiffée de fables, une gargouille se penche vers lui et lui propose de migrer avec elle. Il fait non de la tête. La gargouille insiste, avance son doigt près de son visage.
C’est un doigt lisse, tacheté de bruns chauds. Couleur vanille aux minuscules pépites de chocolat. La gargouille des rêves est-elle si bonne à manger ?
Il referme ses lèvres.
Le minéral entre sa langue et son palais.
…
Un doigt de pierre entre ses dents de perle.
Il mord.
Un cri.
%#@!§&!!!
Une injure dans une langue barbare.
Dans la cour intérieure de Poudlard, une gargouille curieuse avait remarqué un étudiant qui lui semblait bien menu. Il paraissait l’observer, le regard perdu dans ses pensées. Elle avait tenté de lui sourire, en vain. Elle avait tenté de lui parler. Peine perdue. Elle avait avancé son doigt. Morsure.
Maintenant, la gargouille de la réalité, qui ne veut ni migrer ni emporter Cecil avec elle, vocifère des noms d’oiseau.
Cecil ne comprend ni la langue des gargouilles ni les gestes étranges qu’elle lui dédie. Ses joues rosissent. Il remonte son grand livre sur son torse. Il baisse un peu la tête. Entre deux souvenirs flous, il comprend plus ou moins ce qu’il a fait. Une honte légère chauffe son corps. Il se demande si quelqu’un a vu la scène. Ah oui, il y avait une jeune fille.
Elle est toujours là-bas. Elle a dû entendre les injures de la gargouille. Sa petite honte grandit. Il rougit tout à fait.
Son visage lui est familier. Son nom reste muet. Qui est-elle ?
A moitié caché derrière son livre sur les sans-magies, Cecil se mord les lèvres, autant par embarras que par effort de réminiscence.
Et puis…
Et puis tant pis.
Il s’ébroue les sentiments.
Cecil a le cœur palpitant. De ces palpitations qui sur-réagissent et qui lui donnent l’esprit fébrile. Et qui peuvent aussi changer leur rythme comme elles l’entendent. C’est l’avantage de l’inconvénient. Le revers doré de la médaille noire.
Il s’avance vers la jeune fille.
Elle parait vingt ans. Lui, à peine quatorze. Entre elle et lui, les apparences ont mis six ans de différence.
Son visage à elle, vraiment, lui est familier.
Où…
Oh.
Il ralentit le pas. Le nom lui revient.
Ryan…
Les Sigmas ont dit son nom. Et après, les élèves, entre eux, ont dit son nom… Ryan, Ryan, Ryan… Ça sonne comme un mantra de colère. Il n’a pas pu l’oublier.
Il s’arrête à deux mètres d’elle. Tiraillé entre l’envie de justifier les cris de la gargouille, l’envie de la sonder et l’envie de fuir. Tiraillé… Mais il choisit. Au moins, pour commencer…
- Les gargouilles sont fâchées. Elles sont toujours fâchées.Il rabaisse son livre. Parler plus librement.
- Ça t’a dérangée ? Je suis désolé.Il piétine un peu sur place. Il a présenté ses excuses. C’est une sorte d’aveu de culpabilité pour le cri et la fâcherie. Tant pis. Tant pis. Tant pis.
- Je m’appelle Cecil. Et toi ? Il feint de ne pas connaitre son nom à elle. Il ment. Mais les rêves ne sont que mensonges, et Cecil adore les rêves.