Oublie ta haine, poursuis ta route, laisse-la faire la sienne (ft. isabeau)

Mille questions trottaient à toute vitesse dans son crâne. Ne ferait-il pas mieux de rebrousser chemin, avant qu'il ne soit trop tard ? Après tout, il était probablement trop tard pour recoller les pots cassés. Et puis que dirait-elle, si elle apprenait qu'il faisait les cent pas devant sa porte résolument close ? Lui en voudrait-elle de ne pas avoir eu le courage de toquer à sa porte ?  Ou pire encore : lui lancerait-elle un de ses regards vides de toute émotion à vous glacer le sang, dont elle seule avait le secret ? Car depuis leur dernière altercation, Marvel et Bo n'étaient plus que deux inconnus, noyés dans une mer d'indifférence.
Non, ces derniers mois, elle ne lui avait pas adressé un mot personnel. Mais au lieu de plaider coupable, le rouquin avait préféré porter le masque de la victime. Et il lui allait si bien. Oh, comme il était bon de tout lui coller sur le dos, ou de la décréter responsable de tous ses maux ! Pourtant, ce n'étaient pas ces accusations injustes qui allaient les tirer des griffes des Sigmas.

Deux gamins trop fiers qui avaient été poussés trop tôt dans le monde des adultes, voilà ce qu'ils étaient. Des germes de la génération "Y", des enfants-rois autour de qui des univers entiers semblaient graviter. Certes, ils n'avaient jamais été pourris gâtés de façon matérielle. Mais les deux avaient grandi dans l'amour et la bienveillance, ce qui valait bien tous les galions du monde.

Les lèvres coincées entre ses dents et les pensées encombrées, Solberg détailla le plateau qu'il tenait entre ses mains. Tout y tenait, des viennoiseries qu'il avait passé la matinée à cuisiner aux deux tasses de thé encore fumantes. Sans oublier la touche finale : un petit bouquet d'edelweiss qui trônait fièrement au milieu d'un verre.
Vu comme ça, il n'avait l'air de rien. Mais le rouquin avait littéralement gravi une montagne pour aller le cueillir. Ses jambes endolories se souvenaient encore de l'ascension de la veille. Certes, il était facile de transplaner dans les endroits les plus improbables mais rien ne garantissait de tomber sur ces fleurs si rares, et pourtant si poétiques.

Durant toute sa promenade de la veille, de lointains souvenirs étaient venus se manifester dans son esprit. Ce n'était pas la première fois qu'il venait ici. Et pour être parfaitement honnête, il ne se sentait pas rassuré à l'idée que des Yétis traînaient parfois dans les parages. Car les Alpes n'étaient pas seulement peuplées de joyeux paysans gardant leurs troupeaux de vaches. Marvel en avait eu la preuve bien vivante lors de son voyage scolaire en Suisse. Quand Isabeau riait gaiement en l’entraînant dans son sillage, il avait manqué de faire un arrêt cardiaque. Mais rien ne pouvait leur arriver lorsqu'ils étaient ensemble. C'est ce qu'il s'était dit, du haut de ses seize ans.

Le regard perdu à force de trop fixer un point invisible au milieu de tout ce bric à brac, le professeur dut secouer le visage pour revenir à la dure réalité. Peut être que tous ces artifices étaient inutiles. Et si elle pensait qu'il essayait de l'acheter avec ses cadeaux ? Et si elle l'accusait d'utiliser leurs souvenirs pour l'amadouer ? Et s'il était trop tard pour confesser ses pêchés, pour invoquer son pardon ?

Un pas en avant et le cœur palpitant, il s'était finalement jeté à l'eau. Au diable les hypothèses et les doutes qui l'avaient tenu si longtemps éloigné de sa meilleure amie ! Ce soir, il parlerait à Bo et lui présenterait ses excuses. Voilà tout. Seulement, quand cette dernière lui ouvrit ma porte, Marvel en perdit les mots et sentit ses joues s'empourprer.

« B-bonsoir Isabeau », réussit-il à articuler, en tendant son cadeau vers elle. « Je me suis dit qu'on devait parler. Et puis j'avais des éclairs et croissants en trop. » Tu parles, il avait passé la journée à les confectionner rien que pour elle.

«Et aussi, j'ai des excuses à te présenter », finit-il par avouer tout penaud, portant soudainement toute son attention vers ses chaussettes. Tiens, aujourd'hui, il avait mis les jaunes à motifs de T-Rex.  Peut-être quelles lui porteraient chance.