Cours – La résistance à la peur [PV Basma]

La salle de classe de psychomagie, tout un style classique, à en croire que c’en est fait exprès. Murs de plâtre blanc esquinté, tableau noir griffé par des générations de craies imperturbables, bancs de bois lustrés, grandes chaises rigides qui entrent un peu dans les fesses rebondies.

- Ce soir, vous pouvez rester pour un cours pratique de contrôle de la peur. Mettez-vous d’accord sur qui le passe ce soir si vous êtes plusieurs à vouloir le passer.

Proposition de cours pratique. Parce que tous n’en auront pas l’utilité et parce que je n’ai envie de travailler qu’avec ceux qui sont motivés. Je range mes affaires. Un fourbi de papier, de notes et deux livres qui sont là pour faire référence plus que pour une utilité quelconque. Je préfère mes notes manuscrites… C’est presque du fait-main. Artisanal. Quelque chose de rassurant, sans doute.

En attendant qu’ils décident qui fait quoi ce soir, je prends l’éponge, la masse spongieuse et froide qui m’en met plein les doigts à chaque fois, de l’eau sale, de la craie émiettée, et je la passe sur le tableau. Ca fait très moldu, très old school. Je crois que je commence à aimer les habitudes de mon prédécesseur. A force de marcher dans les pas d’un inconnu, on finit par le connaitre, reconnaître ses traces, apprécier ses chaussures.

Je me retourne. Je me demande s’il en restera un ou une.

Basma est restée.

Je me sens mal.

- Mademoiselle El Aoudi…

J’en suis là sans mot pendant quelques secondes. J’ai la mâchoire qui se cimente à la mâchoire supérieure, la langue qui s’empêtre dans les dents. Rien à faire, ça ne veut pas parler. Je m’approche d’elle, en baissant les yeux, le temps de réfléchir. Le parquet est dégueu, décidément, il faudra le faire remplacer et qu’est-ce qui a bien pu se passer pour qu’une tache rouge s’étende comme un tapis oriental devant mon bureau ?

Arrivé à sa hauteur, je m’assieds sur le bureau qui lui fait face. Je ne suis pas certain de…

Basma est une des rares étudiantes à qui j’aimerais éviter des chocs émotionnels. Bousculer les cœurs a du bon quand il s’agit de faire découvrir, comprendre, susciter… Bousculer les cœurs déjà malmenés ne sert qu’à traumatiser ? J’aime (je crois ?) enseigner la psychomagie. Passer les âmes au couteau à boucher, non.

- Comment allez-vous depuis la dragonrun ? Puis-je vous demander si votre soeur va bien?

Elle dit que ça va elle dit de ne pas s’inquiéter que tout va bien elle dit que tout va tout va tout va tout finira par aller car tout doit aller.

Je regarde la scène et j’oublie et je regarde d’en haut je n’ai plus de corps plus de cœur plus de raison ?

Elle dit merci elle dit merci pour la rationalité et je regarde la bouche qui dit merci les yeux qui me regardent et qui me disent merci aussi.

Je regarde la scène et je reviens sur terre et je regarde d’en face j’ai le corps en apesanteur et le cœur qui se rétracte qui palpite en sourdine.

Elle dit et vous elle demande et elle a les yeux un peu perdus dans ce et vous.

…

J’ai la raison qui me dit « tu vois ? ». J’ai la raison garce et le cœur qui éclot. Une clématite noire. Je la chasse d’une inspiration. Meurent ses pétales. Tombe son noir et sa tige piquée en épingle sans pitié. Mon cœur se cautérise au souvenir de feu. Et je regarde Basma qui m’a demandé si je vais bien.

- Ca va... Merci…

Je ne sais pas ce que j’ai mis dans cette réponse et je crois que je ne veux pas le savoir. Je me lève pour ne pas le savoir. J’ai la réponse qui s’achève sur le bout de mes lèvres et je la laisse partir en écho, en flammes glacées, je ne sais pas ce que j’ai mis dans cette réponse et je suis certain de ne pas vouloir le savoir.

- Venez Mademoiselle El Aoudi.

Je l’invite à entrer dans la pièce rouge la pièce tapissée de fantômes de machines et sans fenêtre la pièce où les objets ne respirent pas où les objets n’ont pas besoin de respirer et moi dans cette pièce peut-être n’aurais-je plus besoin de respirer… ?

Je soulève un drap blanc je retire ce qui fait d’une machine un fantôme et apparait une table des bracelets et un petit robot à l’apparence humaine.

Je prends un bracelet je le tends à Basma je lui tends ça comme un cadeau ou une pomme empoisonnée et déjà je regrette… Mais je tends le bracelet de laiton et d’onyx noir comme une clématite empoisonnée.

Basma paniquée.
Basma devant les flammes.
Basma dans la foule.

Je la revois et je la chasse.

Je ne vois plus que Basma dans la pièce rouge Basma droite devant moi Basma calme et moi pas si calme au fond et moi à l’apparence calme et moi qui joue bien le calme.

- S’il-vous-plait, ce bracelet permettra de vous mettre dans un état d’hypnose avancée et de projeter votre peur. Mais avant de commencer… j’aimerais que vous tentiez de vous souvenir d’un événement heureux…

Autour de mon poignet je mets aussi un bracelet autour de mes os et de ma peau je mets l’objet qui m’hypnotisera peut-être ou pas du tout je mets la chose qui projettera mes peurs à la place de celles de Basma parce que je ne veux pas que les peurs de Basma soient seules dans la pièce parce que je ne veux pas que Basma soit seule dans sa peur parce que je ne sais pas si ma rationalité pourra contrer les peurs de Basma et parce que je ne sais pas ou je ne veux pas savoir que pour Basma j’ai peur.

- Je vais vous demander, pendant que vous vous rappelez cet événement positif, de vous concentrer sur les impressions de votre corps. Là où vous vous sentez détendue, si vous ressentez une chaleur, ou l’impression qu’un vent vous enveloppe ou que quelqu’un vous touche… Pourriez-vous décrire ces sensations pendant que vous vous en souvenez ?

Je dis tellement de rationalités mon cerveau en mode automatique je dis tellement de logique mon cerveau outré je dis tellement de théorie mon cerveau qui rit qui s’esclaffe qui se moque de moi un peu et qui montre mon cœur en lambeaux.