Des parchemins bourrés d’une écriture fine et serrés s’étalaient devant lui comme autant de chaines qu’on aurait voulu passer à son poignet, à lui, Argus Jupiter Jones, dépositaire d’une longue -illustre, éminente, notoire, célèbre et d’autres adjectifs pompeux qu’il avait déjà oublié- lignée de sorciers dont l’arbre généalogique remontait sans peine jusqu’au moyen âge. A lui maintenant tout le plaisir d’entretenir un rang désuet, une gloire passée dont la mention ne lui signifiait plus rien. Tout cela n’était qu’une douce illusion à laquelle ces abrutis de parents tentaient encore de croire dur comme fer, s’accrochant à un passé quelconque dont le caractère n’était à présent plus que le vent du nostalgique, le grain de sable s’écoulant du sablier.
Malheureusement pour lui, du haut de ses sept ans et quelques, il était prisonnier des ambitions démesurées de ses parents qui avaient consenti à échanger la liberté et les joies de l’enfance de leur fils unique contre des promesses incertaines de gloire. Alors il était là, devant son épais bureau de bois, son nez fin pointé vers le bas et un soupire au bas des lèvres, rechignant à débuter une lecture qu’il ne connaissait déjà que trop bien. Lentement le moment viendrait alors il prenait son mal en patience, serrant son petit poing comme pour rendre l’attente moins longue. Enfin un petit pop sonore retentit comme une douce mélodie à ses oreilles et avec un sourire qui s’étendait jusqu’à l’Irlande, il se leva brusquement de sa chaise en entreprenant d’ouvrir la vitre menant à son jardin. Il était doux ce son de la liberté. Et encore plus douces étaient ses escapades d’une vingtaine de minutes qu’il ne pouvait se permettre que trop rarement.
Il trottina allègre et pressé vers l’abri de jardin à la porte branlante, verrouillée par un cadenas rouillé qui à l’insu de ses parents lui avait déjà livré ses secrets et ainsi il l’ouvrit sans peine. Ses yeux de gosses s’illuminèrent quand il aperçut logé entre deux outils ensorcelés, une vieille Flèche d’Argent dont les brindilles ternes tombaient en miettes. Mais malgré son aspect peu engageant et les nombreux trésors que recelaient sa maison, le joyau de son enfance était bien ce bout de bois fatigué qui soupirait à chaque envol.
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Sa tante Griselda lui avait offert le plus compatissant des sourires, qu’il avait rendu par un vague haussement d’épaules tandis que sous eux défilait la grande ville moldue qu’était Manchester. Ils la survolèrent dans son entièreté avant de parvenir dans une petite bourgade de sorcier qui en bordait les environs. Pied à terre, balai en main, sa tante lui pointa une baraque miteuse aux murs rabougris mais au jardin si spacieux que son imagination s’emportait déjà, s’y voyant déjà le conquérir de milles et unes aventures.
Sans attendre il s’y dirigea son épaisse valise en main, frappée d’un J ornementée en or, dernier symbole de ses parents qui faute à une énième défiance de sa part l’avait violemment désavoué pour aller vivre chez la sœur de sa mère, une cracmol au cœur tendre. Il n’en avait cependant que faire et était même reconnaissant d’avoir été libéré si tôt de la cage familial auquel on l’avait livré. Pour cela il remerciait mille fois la naissance d’un petit frère mais gardait tout de même une dent envers ses géniteurs qui n’avaient eu aucun mal à le mettre à la porte. Mais il allait ainsi dans le monde des sorciers et la pomme tombée bien loin de l’arbre était souvent laissée à l’abandon. Argus n’avait pas fait exception à la règle.
Alors qu’il s’habituait tout juste au quartier, il l’avait vu sous la pluie, les fesses dans la terre et tête tourné au ciel ; Un petit blond dont la tristesse indéchiffrable semblait plus féroce que le torrent qui s’écoulait sur lui. Trempé des pieds à la tête en allant le rejoindre, trop curieux, trop candide pour l’ignorer, i avait tendu sans le savoir alors, à la personne qui deviendrait son plus fidèle allié à travers toutes les tempêtes que lui réservaient la vie.
Demeter Green était un gosse marrant à la langue bien pendue qui épanchait sa haine sur le monde. Il était Argus Jones, l’insoumis qui crachait allègrement sur toutes conventions. C’était une rencontre improbable tant leurs pensées étaient différentes mais il parait que la solitude rapprochait et ils l’étaient bien au fond, deux gamins en manque d’amour qui dans leurs jeux d’enfants ont alors forgé les liens d’une indestructible amitié.
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James grimaçait en lui réexpliquant pour la cent-huitième fois la tournure catastrophique que les évènements avaient pris. Une expression concernée déformant pour une fois son visage, Argus s’inquiéta d’abord pour le match ensuite pour son balai ensuite pour sa blessure. Il avait perdu les deux premiers et quant à la dernière il s’en tirait avec une méchante fracture. Il voyait encore en fermant les yeux le cognard qui défonçait le manche si fin et si fragile de son nimbus, qui se déchira en aiguilles d’ébènes sous le choc et de la chute vertigineuse dans laquelle il fut entrainé suite à la perte d’équilibre. Un violent haut le cœur le secoua alors tandis qu’il revoyait le sol et repensait à la terrible douleur précédant sa perte de conscience.
Une fois rétabli, il avait tôt fait d’essayer de chevaucher à nouveau. Un des vieux brossdurs de la réserve en main, il en avait saisi le manche avec appréhension, serrant ses mains autour du bois avec une incertitude qui lui était étrangère. Après le coup de pied nécessaire afin de prendre et de signaler l’envol, ses côtes avaient vibrées tandis qu’il avait senti ses yeux se révulser dans leurs orbites. Des grosses gouttes de sueurs perlèrent le long de son front mais à la place de la chaleur il ressentait une peur froide et glacial le saisissant jusque dans ses os. Il regagna le sol une main sur le cœur Argus Jones constata avec tristesse qu’il était à présent aussi brisé que l’était son balais.