mauvaise adresse ▬pv. darwin

Lèvres pincées, il observait l’enveloppe qui ne lui était pas destinée. Dans la grande salle, nombreux semblaient être les élèves dans le même cas que lui. Il lui fallait restituer cette lettre à son véritable destinataire ; c’était ce que Zachary attendait de la part de ceux qui recevraient  son courrier, s’il en avait. Pensivement, il mâchonna un morceau de pain tout en tapotant sur la table du bout des doigts. La chouette inconnue ayant décampé un peu auparavant, le Serpentard se retrouvait seul devant son bol vide, à réfléchir aux mesures à prendre. Avant toute chose, il fallait prévenir cette personne – ce Darwin Moore – qu’il était en possession de son enveloppe.

Parfaitement ordonné dans ses pensées, il dégaina un bout de papier et un crayon de bois de sa poche, et griffonna rapidement quelques mots dessus avant de le plier. Vu comme la journée avait commencé, il espérait fort que cet origami ne se tromperait pas en chemin et irait vers la bonne personne. Puis, sans même attendre de réponse et sans douter une seconde de la venue de Darwin au point de rendez-vous, le Serpentard tâcha de rassembler ses affaires, attrapant au passage une pomme, « en cas de petit creux. » Après de brèves salutations à ses voisins de place, il sortit de la grande salle et se rendit sur le lieu de rendez-vous, qu’il avait choisi pour son côté pratique. Tout le monde se retrouve toujours sous les horloges, c’est bien connu ! Que ce soit à la gare, à l’aéroport, ou même juste en ville, il est toujours beaucoup plus simple de choisir un point de repère dans ce genre, si possible. Et en tant que repère temporel, ça permettait aussi de ne pas être en retard. Zachary eut un rictus moqueur à cette pensée ; c’est sûr que la grande horloge de Poudlard était utile, avec ses aiguilles bloquées, immobiles.

Une fois sur place, la lettre perdue bien en évidence dans sa main droite, le jeune homme sonda le visage des élèves qui passaient. Il devrait pouvoir reconnaitre Darwin, normalement, mais il préférait observer et se montrer prudent. Il y avait peut-être trois ou quatre Darwin Moore dans l’école, qui sait. Après tout, il ne comptait plus les Hingsley ou les Fitzgerald.

« Darwin avait restitué dans des excuses confuses la lettre à sa propriétaire, allant directement la chercher dans le chahut soudain de la grande salle. Tous criaient et grommelaient, cherchant à comprendre pourquoi ils avaient le courrier d’un autre; et où avait bien pu passer le sien. Aussi était-ce sans doute un peu embarrassant, que de voir sa vie privée; son intimité étalée aux yeux de purs inconnus. On avait beau dire qu’il était plus facile de se confier aux méconnus qu’aux autres, il était un peu étrange de voir cet acte se faire sans qu’on l’ait choisi ni décidé.

Ainsi le serdaigle s’était-il senti coupable, oui; que d’être témoin d’un tel secret. Il n’avait pas demandé, compreniez-vous; d’empiéter ainsi sur la vie d’une autre — aurait préféré lui rester étranger. Qu’allait-elle penser, à présent; lorsqu’elle le croiserait dans les couloirs ? Il serait celui qui savait, celui connaissant quelques lignes, quelques bouts de sa vie sans pourtant les comprendre entièrement. Il avait été question d’amour, de vieille amitié; de remerciements… Comment avait-il fait pour tomber sur ces sujets en particulier ? Et qui avait bien pu tomber sur son hibou à lui, et le message qu’il délivrait ? Qui avait été l’élu, la victime ? Avait-il tout lu ? Ou s’était-il arrêté aux premières lignes, dès qu’il avait compris que ce ne lui était pas accordé ? L’avait-il seulement ouverte ? Nombre de lettres n’avaient rien d’inscrit sur leur enveloppe, la magie n’obligeant d’inscrire aucune adresse. Aussi, peut-être; y avait-on pensé cette fois-ci ? Anton recevait toujours les siennes comme à l’ancienne, à la moldue. Était-ce le cas de tous ceux dans son cas ? Déchirés entre deux mondes ? Celui sorcier, et celui autre; celui plus simple — sans magie ? C’était étrange, que d’y penser. Aux différences.

Quand l’origami du dénommé Zachary était venu flotter tout contre lui, Darwin avait laissé ses épaules se détendre; relâchant un court soupir : les dés étaient jetés. N’ayant plus trop rien à faire que de suivre les instructions du message, il avait récupéré ses affaires d’un geste bref; basculant deux trois bouquins sous son bras — sortant avec rapidité de la salle devenue trop bruyante pour lui. Il lui semblait se souvenir de la silhouette du garçon, l’ayant aperçu quelques fois lors de ses rondes de préfet. De son acte, il semblait plutôt droit et attentionné; ce qui n’était pas une mauvaise nouvelle. Quitte à ce que sa vie tombe entre les mains d’une personne, autant qu’elle le fasse sans heurt; chez un coeur noble et capable de respect.

Le regard alerte, le blond avait finalement discerné d’entre les corps celui de son potentiel rendez-vous; s’approchant, il avait alors lancé un petit : « Zachary ? »  Un sourire tout aussi gêné qu’amical n’avait tardé à épouser ses lèvres, et tendant sa main il s’était senti obligé de se présenter en bonne et due forme : « Darwin, sixième année; enchanté. » Ce n’était pas comme si il pouvait faire n’importe quoi, lorsque la situation rendait tout si formel. Il s’agissait de récupérer quelque chose lui appartenant, un morceau de son intimité; une lettre atterrie par erreur chez un autre. Il s’agissait de recevoir sans même pouvoir restituer ou donner quoique ce soit en retour : car il n’avait pas reçu, non; celle de son partenaire. Peut-être n’avait-il pas eu de courrier aujourd’hui ? Ou peut-être, aussi; l’avait-il bien heureusement récupéré ? Mystère.

« Merci d’avoir été si rapide et de m’avoir prévenu ? Ça fait plaisir, je me sens désolé de ne rien pouvoir apporter autre que ma simple présence en retour. » Darwin le maladroit, le complexé : l’homme voulant être généreux. Que pourrait-il bien faire, oui; pour prouver sa gratitude ? Il se sentait si reconnaissant, tout d’un coup; prêt à croire en nouveau en cette humanité un peu étrange, en ces sorciers fous et bien trop occupés à se soucier de sa petite existence. Alors il avait décidé de rester là, oui; dans le silence : à écouter ce que le serpentard avait à dire. N’était-ce pas la meilleure des solutions ?

Car qu’y avait-il de plus sincère que l’attention ?
Il n’était pas certain de savoir.