Mais qu’est ce que je fous là?
Assise seule au comptoir d’un pub, je sirote doucement un petit verre de vin rouge, essayant tant bien que mal de réfréner ma migraine naissante. Une tâche déjà difficile pour moi, rendue totalement impossible par le vacarme général. Non mais regardez les: la fine fleure de Serpentard, complètement ivre, en train de beugler je ne sais trop quelle chanson grivoise. Je reconnais une ou deux têtes, des élèves si fiers d’ordinaire de leur lignage, mais qui maintenant se vautrent sous la table, à rouler sur le sol dans la poussières et les boissons renversées. Pathétiques. Je déteste les bars. On y parle toujours trop fort, la musique assourdissante vous perce les tympans, et les clients désinhibés laissent courir leurs mains baladeuses et leurs compliments aussi périmés qu’hypocrites. Je plains les serveurs, qui doivent à longueur de soirées présentés le même sourire creux, sans jamais laisser paraitre leur dégoût. Il fut un temp où j’en étais une, juste après ma fugue de chez mes parents. De ce court job alimentaire destiné à payer la ridicule pièce qui me servait de refuge, j’en ai tiré deux enseignements majeurs: de une, ne jamais tomber dans l’excès, au risque de devenir une autre pitoyable alcoolique anonyme.
Et de deux, que l’on obtient toujours tout ce que l’on désire d’une personne ivre.
Moi, venir à Pré-au-Lard juste pour m’amuser? Et puis quoi encore! Je ne possède même pas la signature de mes parents nécessaires pour visiter ce trou à rat librement. Transgresser encore une fois le règlement pour des confiseries et de la bière au beurre, très peu pour moi. Non, pour me faire descendre dans ce village miteux habité d’arriérés, il me faut une carotte à la hauteur du jeu. Comme la perspective de soutirer quelques confessions à mes très chers « collègues » de chez Serpentard. Je jette un coup d’œil à mes proies derrières moi, une belle petite brochette de fils de l’élite magique savourant leurs verres et leur débauche. Dire que quelques années auparavant, j’appartenais à la même caste, à ce groupe qui se croit au dessus des lois qui régissent ce monde cruel. Dans une autre vie, moi aussi, on m’aurait convié à cette fête privée, et je serais là, parmi eux, à rire et me saouler comme si demain m’appartenait, … La tempête dans mon crâne redouble de violence: d’une gorgée rageuse, je tente de l’apaiser. Patience Moira, patience. Tu regagneras tout ce que tu as perdu. Et d’ici là, j’écraserai tous ces inconscients, je me délecterai de leur panique quand leur monde s’effondrera autour d’eux. Demain déjà, ils riront moins quand leur plus noires secrets tomberont entre mes mains: ils comprendront alors que leur fortune ne tient qu’à un fil, un nom de famille, que je réduirais en cendre comme ils l’ont fait pour moi, voilà tant d’années.
«- Une boisson à me conseiller, camarade ? »
Je sursaute, arrachée de mes pensées par une voix cassée, fatiguée: derrière moi, une élève, plus âgée, à la longue chevelure vermeille, s’agrippe tant bien que mal au comptoir, un sourire idiot sur le visage. Impossible de la reconnaitre, tant ses traits disparaissent derrière un maquillage défraichi, un rouge à lèvre débordant sur ses joues, et un mascara dilué dans les larmes. Ses vêtements empestent la vinasse bon marché, avec en plus le relent immonde des toilettes de cet établissement. Je ne pense pas la connaitre, et peu m’importe: un tel déchet ne m’inspire aucune pitié, juste du dégout. La voilà qui farfouille ses poches, à la recherche de je ne sais quoi. Elle semble m’avoir déjà oublier. Bien: profitons en pour partir discrètement, trouver un autre coin plus calme d’où je pourrais continuer d’espionner sans plus d’interruptions inutiles. Mais je me lève à peine que l’autre nuisible dépose avec toute la délicatesse d’un éléphant, son paquet de cigarette, m’adressant un nouveau sourire fière comme si elle venait d’accomplir l’exploit du siècle.
Nos regard se croisent: parfois, il ne suffit que d’une seconde pour que tout bascule.
Je m’apprêtais à l’envoyer chier, à lui faire comprendre avec mes poings s’il le fallait que je ne perdrai pas une seconde de plus à ses délires d’ivrognes, mais au lieu de cela, je suis restée silencieuse, désarmée par ses yeux d’un vert si intense et d’un blanc rougi par les larmes. Immobile, je me perd dans cette mer d’émeraude d’une tristesse infinie, dans ces miroirs d’une âme brisée, meurtri. À travers elle, je retrouve comme un écho lointain, un souvenir confus de cette fille au cheveux noire sans défense livrée à la merci du monde. Lorsqu’enfin je reprends mes esprits, je rougis involontairement, surprise, même choquée par ma propre réaction. Je me réinstalle sur ma chaise, gênée, sortant à mon tour mes clopes nerveusement. Bordel mais ressaisis toi, Moira, ce n’est qu’une alcoolique comme une autre! Je me mords les lèvres, tapote frénétiquement le comptoir: bon sang, avec tout cela, je n’ai même pas répondu à sa question. Que disait elle déjà? Je ne me souviens plus. Vite, dis quelque chose, n’importe quoi, sauve les apparences au moins! Je me racle la gorge, cherchant une réponse et la force de percer le vacarme avec ma voix d’ordinaire si faible. Mais rien ne me vient à l’esprit, hormis une question, un peu sèche, froide, mais sincère:
« -Tu es qui toi ?»