Derrière le masque. [TERMINÉ]

En privé, Arthur White changeait de visage.
Il ne lui poussait pas de cornes. Ses dents ne devenaient pas subitement pointues. Et son caractère ne changeait pas vraiment. Il devenait plus subtil comme si les deux parts qui composaient son être osaient se distinguer plus singulièrement tout en s'exprimant en même temps. Plus nuancé. Lui-même.
Cela ne lui arrivait pas souvent. Uniquement lorsqu'il se trouvait chez ses parents, mais surtout avec Lancelot. Car si ses parents connaissaient toute son histoire, ils ignoraient tout des activités illicites auxquelles se livrait leurs fils lorsque celui-ci était à l'école. Ce n'était pas vraiment le genre de chose que l'on avouait facilement à ses parents. Arthur préférait leur donner l'image d'un bon fils, obéissant et droit. Celui qu'il aurait dû être. Ces omissions n'étaient pas nécessaires avec Lancelot, qui était au courant de tout. Avec lui, il était possible de parler sans aucune retenue et de laisser exprimer son être intérieur. Arthur avait besoin de ces bouffées d'air pur. Elles ne lui permettaient pas seulement de respirer : elles le mettaient en confiance et lui donnaient la force d'avancer.
Et qu'est-ce qu'il adorait Lancelot ! Arthur ne se serait jamais attendu à ressentir une aussi forte amitié pour un type comme lui. Si grand, si froid, si impressionnant... alors que la plupart des Serpentard faisaient couiner le garçon de peur, Lancelot incarnait aux yeux d'Arthur un iceberg solide et rassurant auquel il pouvait s'accrocher en cas de dérive. Lancelot donnait l'air de ne pas vraiment se préoccuper des autres, car il les traitait souvent avec suffisance, mais au fond de lui, il avait besoin de quelqu'un à qui offrir son amitié, quelqu'un qui verrait derrière son armure de glace, qui l'aimerait pour ce qu'il était... et qui saurait le transcender. Le dominer un peu. Lancelot avait ses ambitions, mais il n'était pas fait pour être le héros : il était le preux chevalier qui fallait passer les intérêts de son roi avant les siens propres. Et cela tombait bien, car d'Arthur et de Lancelot, le premier était roi et le second seulement chevalier. Ils portaient bien leur nom.
Peut-être s'entendaient-ils aussi bien parce que leur amitié ne se limitait pas uniquement à de l'amitié, mais comprenait aussi ce jeu complexe d'intérêts et de secrets qui rendaient leur relation si intéressante.
Une aussi forte amitié n'aurait pu supporter longtemps l'éloignement. Pas alors qu'ils se trouvaient sur la même île. En venant ici, Arthur et Lancelot avaient eu l'intention de passer du temps ensemble, sans personne pour obliger Arthur à redevenir ce gamin innocent et transparent qui hantait la tour de Serdaigle. C'était ça l'amitié.
Sans doute le fait de se retrouver dans des lieux isolés et boudés par la majorité des élèves expliquait le choix de la grotte comme lieu de rendez-vous. C'était bien le dernier endroit où l'on se serait attendu à trouver Arthur. Non seulement elle n'était pas directement accessible à pied, mais en plus et surtout elle était très sombre - or, le garçon avait une peur bleue de l'obscurité. Lancelot le savait parfaitement. C'était justement pour cette raison qu'il lui avait demandé de le rejoindre là. Lancelot adorait mettre Arthur à rude épreuve, en l'obligeant à se rendre dans le lieu le plus cauchemardesque de l'île. Un ami, oui, mais un ami sadique.
Face à la bouche béante, Arthur n'en menait pas large. Il s'était muni de plusieurs torches pour être certain de ne pas se retrouver dans l'obscurité totale. Mais il hésitait encore à entrer. Il ne parvenait pas encore à voir son ami à l'intérieur, mais il savait qu'il était là, et probablement en train de se moquer de lui. Arthur l'interpella pour l'inciter à sortir :

« Je sais que tu es là, et tant que tu ne te seras pas montré, il est hors de question que je mette un seul pied dans cette grotte, tu entends ? Et inutile de songer à renverser ma barque, je sais très bien nager, mais au cas où, je te rappelle que contrairement à toi, je suis mineur et donc pas supposé me servir de magie. »

Heureusement qu'il parlait à Lancelot. S'il avait dû s'adresser à un autre élève, Arthur aurait très certainement laissé exprimer toute sa peur. Mais lorsqu'il parlait à Lancelot, Arthur ne se sentait pas vraiment faible, ou en tout cas, ne pouvait se permettre de l'être. Lancelot était un dur, et les durs avaient besoin qu'on leur fasse la démonstration de toute notre force.
Ceci dit, sitôt Lancelot retrouvé, Arthur s'accrocherait très certain à son bras en retenant ses larmes, comme le trouillard qu'il était.

S'il doit passer tout son été dans un bungallow avec des gens qui ne le connaissent pas assez pour qu'il se permette de se détendre, Lancelot va probablement devenir fou.
Il s'est déjà ravisé, par rapport au départ, lorsqu'il se jurait de ne jamais sortir de l'endroit, sauf en cas de nécessité absolue. Les coups de soleil et la chaleur, non merci. Malgré tout, il s'est bien vite trouvé confronté à un problème de taille : comment voir Arthur ? Certes, en vacances, les Duellistes sont en pause et profitent un peu d'un repos bien mérité. Cela dit, si Lancelot traîne avec Arthur, ce n'est pas en tant que chef et bras droit. Le petit rouquin est son meilleur ami, il est bien obligé de l'admettre. Ce qui ne l'empêche nullement de lui cacher des choses. Comme le fait qu'il convoite sa place. Ou bien qu'il en ait un peu trop raconté à Perceval.
C'est peut-être cette dévorante ambition qui a poussé Lancelot à choisir le lieu de rendez-vous, comme s'il désirait appuyer son ascendant sur Arthur. Il est déjà persuadé d'en avoir un. Il suit certes les consignes d'Arthur, mais qui influence le gamin ? Lui, bien sûr. Et avec tant d'intelligence que son ami Serdaigle n'a aucun moyen de s'en rendre compte. Ou alors, c'est lui qui s'en convainc. Cependant, il lui a proposé la grotte, sur un ton si incisif qu'il était manifeste que ce n'était pas qu'une proposition, et Arthur a marché. Le Serpentard sourit. Oui, c'est bien la preuve de son influence sur le chef des duellistes.
Vêtu d'une chemise blanche soigneusement boutonnée jusqu'en haut, et d'un pantalon assorti assez large et fin, Lancelot a des allures d'ange. On l'imaginerait sans peine sonner l'apocalypse ; l'intelligence qui brille dans ses yeux laisse penser qu'il aperçoit déjà certaines vérités cachées. Lancelot, sur sa barque, s'enfonce dans la grotte ; l'ombre et la fraicheur qui règne à l'intérieur lui font pousser un râle de soulagement, et Lancelot déboutonne le haut de sa chemise et retrousse ses manches. Cela fait du bien.
Il n'a plus qu'à attendre le héros, à présent.
Il n'a pas à attendre longtemps, d'ailleurs ; voilà que la voix juvénile et inquiète d'Arthur raisonne dans la grotte. Dans la pénombre, Lancelot sourit.
« Moi aussi, je suis venu en barque. »
Il aurait pu choisir un autre moyen, en fait - mais cela l'amusait. Il connaît assez Arthur pour savoir comment celui-ci se débrouillerait pour se rendre au lieu de rendez-vous, et il a trouvé cela drôle de l'imiter. Malgré tout, un élan d'affection le pousse à se lever. Il est fier de son petit Arthur. Sortant sa baguette magique, il lance un Lumos, moins pour rassurer le roux que pour lui indiquer sa présence.
« Maintenant que tu sais où je suis, vas-tu venir, ou m'obligeras-tu à aller te chercher ? »
Le ton, légèrement moqueur, laisse clairement supposer que Lancelot ne compte pas s'adonner à la seconde proposition. Il ne manquerait plus que cela, tout de même... Ce serait la preuve de sa déchéance. Et, tant qu'il dispose du contrôle entre ses mains, il n'est pas prêt du tout à le lâcher.

Un instant, Arthur crut que Lancelot n'allait pas lui répondre, afin de le faire paniquer un peu. Le Serpentard aimait bien jouer avec ses peurs lorsqu'il en avait l'occasion. Il les connaissait trop bien, puisque le garçon ne prenait pas toujours la peine de les lui cacher. Cela ne l'empêchait pas pour autant de se précipiter au secours d'Arthur lorsque celui-ci était en difficulté, ou de prendre sa défense si quelqu'un se moquait de lui. Les moqueries de Lancelot étaient toujours amicales, tout comme celles qu'Arthur lui adressait parfois avec son air espiègle. Elles piquaient à peine. Mais ceux qui entendaient faire du mal au Serdaigle le regrettaient amèrement lorsque Lancelot se mettait sur leur chemin. Ils n'avaient pas compris la différence.
La voix de Lancelot s'éleva bientôt du fond de la grotte. Arthur tourna le regard vers la source possible d'émission. Il n'était pas vraiment étonné de voir que Lancelot avait choisi le même moyen de transport que lui. Bien qu'il fût majeur, et donc tout à fait autorisé à utiliser la magie en dehors de l'école, Lancelot n'était pas du genre à le rabaisser en lui rappelant que lui n'en aurait pas le droit avant le mois d'octobre. Il adorait se mettre au niveau d'Arthur et éprouver les mêmes difficultés que lui. Du moins, c'était ce qu'il pensait. Lancelot était un peu trop arrogant pour se rendre compte qu'il ne pourrait jamais se mettre à la place d'Arthur - et cela valait d'ailleurs pour la direction des duellistes illégaux. Physiquement plus grand et plus fort, ramer ne lui posait pas de véritable problème. Arthur était persuadé qu'il se portait comme une fleur au fond de sa grotte, un environnement tout à fait adapté à un vampire tel que lui. Mais le rouquin ne pouvait pas en dire autant. Non seulement il était trempé de sueur, mais il sentait que ses muscles avaient été mis à rude épreuve. Il n'osait imaginer les douleurs qu'il ressentirait le lendemain au réveil. C'était le lot de ceux qui ne produisaient jamais d'efforts physiques et qui devaient tout à coup ramer.
Alors, oui, rien d'étonnant à ce que, secrètement, Arthur ait envie de ressembler à Lancelot.

Une lumière d'origine magique vint bientôt éclairer la grotte et indiquer la position du Serpentard, exactement là où le Serdaigle l'avait prédit. Lancelot avait beau essayé d'avoir un air moqueur et de le provoquer, il ne pouvait tout à fait cacher la fierté que lui inspirait Arthur en ce moment. Ce dernier trouvait que son ami se comportait parfois de façon étrangement paternelle avec lui. Il s'appropriait d'une façon ou d'une autre les réussites d'Arthur, comme s'il avait une part de responsabilité dans celles-ci. Dans le cas présent, ce n'était pas vraiment le cas, mais cela touchait Arthur de voir ce qu'il pensait de lui. Finalement, il n'allait peut-être pas pleurer au bras de Lancelot, tant que celui-ci aurait de la lumière.
Reprenant courage - et reniflant un bon coup pour se ressaisir -, Arthur rama tranquillement jusqu'au sol de pierre, sans se presser, car il ne pouvait pas vraiment. Lancelot cherchait peut-être à l'endurcir en l'obligeant à faire du sport. Ce serait bien son genre. La coque cogna contre un rocher, et il fallut sortir. Gardant avec lui une torche au cas où son ami était d'une humeur mesquine, Arthur réussit à sortir sans trop se mouiller et à mettre la barque en lieu sûr. Il poussa ensuite un soupir de soulagement.

« Tu as vu ? J'ai réussi à venir. » déclara Arthur d'un air empli de fierté.

Le dos droit, Arthur combla la distance qui le séparait encore de Lancelot et s'assit à ses côtés. L'épreuve était terminée. Il ne pensait pas que Lancelot lui en donnerait une autre. Il s'étira comme un chat en pensant à tous les pièges que son ami était capable de tendre aux autres. Il pouvait se sentir fier d'avoir compris comment l'autre fonctionnait et se le mettre dans la poche sans trop de difficultés.

« Alors, ton bungalow ? demanda poliment Arthur, qui rêvait de se plaindre du serpent qui partageait le sien. Les gens sont sympathiques ? Ils ne t'ont pas fait trop peur ? Tu sais que si tu te montres trop froid avec eux, ils ne t'apprécieront pas et te battront froid à leur tour ? »

Car Lancelot n'était pas le seul à imposer sa volonté à Arthur. L'inverse était tout aussi vrai. Le garçon ne se privait pas pour dire à Lancelot comment se comporter et à juger certains de ses comportements qu'il estimait néfastes ou dangereux. Mais là où Lancelot prenait un air provocateur et antipathique pour énoncer ses critiques, Arthur les prononçait avec une innocence concernée. Lorsqu'il parlait, il était évident qu'il ne voulait que le bien de son ami et qu'il ne songeait pas un seul instant que ses paroles pussent être mal interprétées ou source de vexation.

Sa baguette magique émettant une lumière suffisante pour se repérer dans la grotte, Lancelot patiente en attendant l’arrivée de son ami. C’est le genre de choses pour lesquelles il ne se sent nullement dérangé de devoir attendre : au contraire, cela lui donne une impression de puissance. Il a le temps de se préparer à accueillir le rouquin, d’accrocher un sourire confiant à ses lèvres, de lever suffisamment sa baguette pour illuminer son visage opalin et lui conférer des allures spectrales. Tout était blanc dans cette partie de lui baignée de lumière, de sa chemise immaculée à sa chevelure laiteuse. Il le voit enfin, le petit Arthur ; d’abord une silhouette grise sur un fond noir ; puis une tache rousse, semblable à la flamme d’une lanterne. Arthur lui fait penser à une figure mythologie ; il lui semble presque que le ruisseau est le Styx qui le mènera à sa propre perte, et Lancelot devrait alors se préparer pour le passage.
Dérisoirement risible, cette sordide comparaison.
Il se crispe un peu, mais sait que le roi ne remarquera rien.
Le roi est trop faible pour tenir seul sur son trône.
C’est peut-être cette perspective qui a empêché Lancelot de s’en emparer.
Il ne lui propose pas son aide lorsque la barque parvient à son niveau. Il lui plaît de voir Arthur se démener, et de se dire, je pourrais lui porter assistance - et ne pas le faire. Ce n’est pas tant le besoin de voir Arthur souffrir que la volonté de chercher la confirmation de ses incertitudes. Tant de questionnements auxquels Lancelot ne trouve de réponse ; et il en a marre, de voyager dans le noir. Il a envie d’être le porteur de lumière ; d’être celui qui sait. La connaissance est une forme de pouvoir. (Mais bien sûr, faire ses devoirs, c’est tout de même un peu difficile.)
Heureusement encore que Lancelot est actuellement en forme ; la perspective de voir Arthur le sort de son apathie. Peut-être, cela dit, est-ce justement inquiétant. Que va-t-il donc faire, si jamais son humeur est gouvernée par un autre ?
[color=limegreen]« Ce n’est pas très difficile de venir ici. » : commente Lancelot sans gentillesse ni animosité.
Tout de suite, Arthur oriente la conversation vers le bungalow. Cela ne dérange pas Lancelot. Si cela peut l’aider à croire qu’il conserve son ascendant sur le Suédois, alors soit. Il n’a pas besoin de ces mesquines luttes pour prouver son autorité sur quelqu’un, Lancelot. Il préfère d’ailleurs quand il n’y a pas de preuves, car c’est le signe, selon lui, d’un travail de maître. Lorsqu’on se sait orienté, on méprise l’œuvre du manipulateur. Et on le contrecarre consciemment. Le blond s’intéresse bien plus aux résistances inconscientes.
Lancelot lutte contre l’hilarité.
« Mais pourquoi diable voudrais-tu qu’ils me fassent peur ? Ce sont des gens normaux. Enfin, je crois qu’il y a un duelliste dans le lot, sa tête me dit quelque chose. Mais même. Je leur ai dit bonjour et je m’en tiens aux strictes politesses. Ça te convient, maman ? »
Lancelot insiste sur le dernier mot, tout en sachant pertinemment que c’est plutôt lui qui se comporte ainsi avec Arthur. Mais cela ne le dérange pas vraiment. En fait, les inquiétudes d’Arthur reflètent, à son avis, celles qu’il avait sur son propre bungalow. Il doit quand même comprendre que Lancelot se fiche de ne pas s’entendre parfaitement avec ses coéquipiers, du moment qu’ils sont utiles. Il leur sera tout aussi utile en retour – mais, simplement, pas très sympathique, il est vrai.
Lancelot pointe sa baguette vers le visage juvénile d’Arthur, dans un geste presque accusateur – et en cet instant, on pourrait presque saisir l’avenir qu’il souhaite se forger, et observer un Lancelot adulte, posé, inquisiteur, dévisageant froidement son suspect pour essayer de lui extraire la vérité.
« A ton tour, mon cher ami. Dis-moi qui te fait peur et si tu as besoin que j’intervienne. »
Lancelot n’acceptera pas autre chose que la vérité. On pourrait volontiers croire qu’il saura déceler le moindre mensonge dans la voix d’Arthur. Voilà le genre d’effet que le jeune homme fait. Quant à sa volonté d’intervention, en cet instant, on dirait presque un chevalier désireux son roi.
Presque.
Car derrière la proposition, il y a la volonté de souligner la dépendance du Serdaigle vis-à-vis du Serpentard. De rappeler que c’est le blond qui dispose du pouvoir, qui a le droit d’utiliser la magie, qui est plus fort physiquement. Et si Arthur peut s’appuyer sur lui, c’est uniquement parce que Lancelot le veut bien.

Ce qu'Arthur trouvait le plus étrange mais néanmoins amusant avec Lancelot était sans doute la façon dont ce dernier prenait très sérieusement tout ce que le rouquin pouvait lui dire. Cette méfiance se comprenait : après tout, Lancelot savait parfaitement ce dont Arthur était capable et ne pouvait croire que les paroles de l'adolescent étaient totalement innocentes. Il n'avait pas tout à fait tort de croire qu'il y avait de la provocation dans les paroles d'Arthur : le rouquin assumait parfaitement tout ce qu'il disait, même en sachant que Lancelot n'allait pas les accepter finalement. Mais il n'avait pas non plus tout à fait raison : lorsqu'il se trouvait en compagnie du Serpentard, Arthur surveillait moins ses paroles, que l'on pouvait dès lors considérer comme (quasiment) spontanées. Parce qu'il trouvait agréable de ne pas tout savoir de Lancelot, de ne pas passer son temps à l'analyser, de lui laisser une part de libre-arbitre bien utile dans bien des situations. Arthur remarqua tout de même qu'il avait été piqué par l'emploi du mot « peur », comme si ce terme devait être exclusivement réservé à Arthur. Ce dernier assumait bien les siennes, c'est pourquoi il répondit sans gêne :

« Tu sais que ton attitude renfermée et agressive peut être considérée comme une peur de l'autre et de l'amitié ? demanda Arthur très sérieusement. Peur d'ouvrir ton cœur aux autres, peur qu'ils voient ton vrai visage. Je ne fais qu'envisager une possibilité. »

Ce qu'il y avait d'étrange chez Arthur et de néanmoins amusant, c'était sa façon de prononcer ces paroles très sérieuses d'un ton espiègle d'enfant. On ne parvenait pas à déterminer s'il y croyait vraiment ou s'il essayait seulement de faire la leçon à Lancelot. Ce dernier avait raison : il y avait bien chez Arthur une envie de reprendre contenance après la frousse que le garçon venait de vivre. Il se vengeait en montrant à Lancelot qu'il pouvait l'interpréter correctement s'il voulait en prendre la peine. Mais cela n'irait pas plus loin. Cela n'intéressait pas le rouquin.
À présent qu'ils étaient quittes, Arthur se sentait beaucoup plus détendu. Il savait très bien que Lancelot avait compris ce qu'il sous-entendait et ne fut donc pas surpris de l'entendre l'interroger à son tour sur son propre bungalow et à lui proposer son aide sans arrière-pensée. C'était ça l'amitié, après tout.

« C'était horrible et intéressant à la fois, confia Arthur. Intéressant parce qu'il y a Ant-Man dans mon bungalow et que je vais pouvoir l'étudier pendant tout l'été sans en avoir l'air, vu qu'il ne se doute de rien. Il m'a paru plutôt sympathique, mais il y a quelque chose avec une élève de Serpentard qui se trouve aussi dans mon bungalow... et justement, ça, c'est la mauvaise nouvelle. » enchaîna-t-il sans plus tarder.

Les histoires de cœur entre Ant-Man et Rosabel Northrop ne l'intéressaient pas le moins du monde, mais le serpent, ça, c'était autre chose. Une menace à la sécurité de sa vie et de ses nuits. Il ne pouvait pas laisser passer cela. Sans qu'il ne s'en rende compte, sa voix devint plus animée, reflet de ses émotions mal contenues.

« Cette fille a amené un serpent dans le bungalow et ne semble pas vouloir faire attention à lui. Il pourrait m'étrangler dans mon sommeil ou me mordre qu'elle considérerait cela comme un simple contretemps - si encore elle daigne m'accorder de l'attention. Il va falloir que tu installes des sortilèges et répulsifs autour de mon lit dès que tout le monde aura le dos tourné, si je veux dormir en paix. »

Ce n'était même pas un ordre : Arthur savait simplement que Lancelot ne refuserait pas de l'aider, surtout lorsque le rouquin paraissait au bord des larmes et complètement paniqué. Il connaissait bien les Serpentard : il savait qu'ils adoraient se moquer des faibles et qu'Arthur avait déjà prouvé à tout le bungalow qu'il l'était. Il avait intérêt à renforcer ses défenses s'il ne voulait pas passer pour une mauviette complète.
Après la peur, ce fut la colère qui envahit Arthur. À croire que, parce qu'il avait l'habitude d'enfermer ses sentiments, ceux-ci devaient se déchaîner comme un ouragan lorsqu'il était seul avec Lancelot. Il passait de l'un à l'autre presque sans transition, au fur et à mesure que ses pensées désordonnées lui rappelait quelque humiliation ou supplice que le serpent avait pu lui faire vivre.

« Non mais quelle idée d'emmener son animal de compagnie sur une île déserte ! J'ai bien fait de laisser Cookie chez mes parents. Ce méchant reptile n'en aurait fait qu'une bouchée. »

Arthur n'avait il est vrai pas le même attachement à cette souris qui était là plus pour compléter son image que par véritable affection. Elle lui avait été offerte par ses parents, et c'était peut-être ce qui comptait le plus chez elle. La valeur du cadeau.

Lancelot fronce les sourcils à la question d'Arthur. Elle l'interpelle, car elle fait preuve d'une véritable profondeur ; comme si le gamin y avait réfléchi longuement, alors qu'il n'a probablement fait que sortir spontanément les mots qui lui passent par la tête. L'intelligence d'Arthur fait parfois peur à Lancelot ; elle a quelque chose de plus sournois encore que la sienne propre, car plus inattendue, elle bénéficie d'un effet de surprise ravageur. Tout le monde sait que Lancelot est intelligent, même s'il ne fait pas toujours un bon usage de ses capacités. En revanche, on tend à sous-estimer les capacités d'Arthur en la matière. Si c'est le rouquin le chef, pourtant, il y a bien une raison. Il a sans doute même un avantage certain sur Lancelot : il est beaucoup plus stable que le blond, qui parfois ne se lève pas de la journée tant il n'a rien envie de faire. Ce sont de pareils moments de nonchalance, Lancelot le sait, qui ont conduit à la situation actuelle, où Arthur commande à Lancelot, et où Lancelot ne s'affirme qu'à des moments bien précis - ceux où il le veut bien.
Tout de même, c'est risible. Lancelot dévisage le Serdaigle avec froideur, même s'il a conscience que toute la glace de son regard ne saurait impressionner le petit roux.
« Si c'était le cas, je n'aurais pas d'ami, réfléchis un peu. »
De toute façon, quel est le vrai visage de Lancelot ? Le Serpentard l'ignore lui-même. Il est possible que ce soit cette partie de lui qu'il essaie de refouler, le Lancelot protecteur, agissant comme un grand frère, prêt à se tenir en retrait - une aberration qu'il ne saurait tolérer. Son attitude actuelle ne suffit-elle pas ? Sa façon d'être avec Arthur ou Perceval est-elle incompatible avec le caractère qu'il désire de sonner ? Il pense que l'on peut être distant, mais savoir combler le fossé qui nous sépare de ceux que l'on désire approcher.
Enfin, Arhur semble aller mieux, plus sûr de lui. Il se lance dans la description de ses aventures, que Lancelot écoute avec une attention appuyée. Qui sait s'il se passe quelque chose ? il ferait mieux d'être là si ça devait arriver... Surtout s'il y a un serpent dans son bungallow.
Lancelot retient un rictus d'agacement.
« On ira faire ça tout à l'heure si tu veux. » Il ne dira jamais non : c'est la preuve direct que Lancelot a des pouvoirs, et Arthur non ; et que Lancelot est intelligent, alors qu'Arthur non. Bien sûr que cela l'arrange. « Fais attention à toi quand même, ne va pas l'embêter, sinon, ne t'étonne pas s'il vient te faire du mal. »
Lancelot sermonne Arthur tel un grand frère qui s'inquiète des bêtises que le plus petit peut faire. Avec un sourire neutre, il reprend :
« Au fait, comment est Ant-Man ? »
Oui, cela l'intéresse. Parce qu'Arthur lui en raconte beaucoup, et que par conséquent, Lancelot a envie d'en savoir plus. Il sait à quel point Arthur est fasciné par cette figure presque légendaire, et à vrai dire, lui aussi est intéressé, même si cela ne fait pas partie de ses priorités. La chasse à la fourmi est du domaine d'Arthur ; le Serpentard a déjà bien trop à faire pour s'en occuper également.
« Si jamais tu as besoin de moi, à un moment, appelle-moi. Je viendrais toujours. »
Bon, sauf dans certains cas, comme un certain maléfice qui le cloue au lit - mais en dehors de cela, Lancelot est toujours prêt à débarquer pour son meilleur ami. C'est cela, d'être un chevalier. Il en a conscience - et peut-être que cela ne le dérange pas tant que cela, peut-être qu'une partie de lui est capable de l'accepter, tout simplement.

Obtenir le soutien de Lancelot pour gérer le problème « serpent » ne s'était révélé une tâche bien compliquée. Non seulement son ami acceptait de lui prêter ses pouvoirs, mais en plus, il lui conseillait de ne pas trop s'approcher de l'animal afin d'éviter les ennuis. Tant de compassion de sa part mettait du baume au cœur. Évidemment, Arthur et Lancelot n'étaient pas en permanence sur la même longueur d'ondes - ils étaient trop distincts l'un de l'autre pour se le permettre. Cependant, cela ne les empêchait pas de collaborer efficacement ensemble. Arthur avait les bonnes idées, Lancelot savait comment les mettre en pratique. Ils n'avaient même pas besoin de réfléchir à ce que cela leur apporterait ou à l'avantage que cela leur ferait prendre sur l'autre. Ils n'en avaient pas besoin.

« Merci, merci, merci ! » répondit Arthur d'un ton enthousiaste, manquant de lui sauter sur les épaules pour lui communiquer sa joie de vivre.

Cette affaire étant pratiquement réglée, Arthur se sentait tout à coup léger, comme si rien n'avait vraiment d'importance. Il avait envie d'éclater de rire sans raison. Sous l'éclat du Lumos de Lancelot, ce dernier paraissait un peu cadavérique, à cause de sa peau blanche et des traits de son visage qui projetaient quelques ombres sur celle-ci. Ce type d'environnement lui allait vraiment bien. Lancelot pouvait vivre dans tous les endroits glauques sans paraître déplacé. Arthur, lui, avait plutôt l'air d'un enfant perdu inconscient du danger qui l'entourait.
Mais tous deux avaient beau être en vacances, loin du château et pas franchement décidés à lancer des duels sur cette île tropicale, le travail ne pouvait jamais attendre bien longtemps. Ils avaient cette conscience professionnelle qui les obligeait à en parler dès qu'ils en avaient l'occasion. Un vrai sens du devoir. D'une certaine manière, c'était la faute d'Arthur, qui avait lancé le sujet de façon plus ou moins involontaire. À présent, Lancelot demandait quelques explications sur ce mythique Ant-Man. Il était évident qu'il avait dû arriver aux mêmes conclusions qu'Arthur quant à son utilité. Le Serdaigle n'avait même pas besoin de demander.

« Eh bien, Ant-Man... J'ai l'impression qu'il est aussi amical que toi. Avec un caractère totalement différent. Mais il donne l'impression d'être capable protéger les plus faibles à sa manière. Étrange, non ? »

Cela venait peut-être du fait que Lawliet s'était montré plutôt gentil avec lui. Il prenait Arthur pour un faible, c'était certain, mais il ne le prenait pas de haut pour autant. Et il semblait capable de protéger Arthur si celui-ci était sur le point de se blesser par mégarde. Ce qui était étrange était que son trait-là, Arthur le voyait tout à fait chez Lancelot. Le Serpentard avait une générosité sans pareille, même s'il avait du mal à l'exprimer. Lawliet n'était sans doute pas aussi dévoué et protecteur que lui... mais il y avait quelque chose d'assez proche.

« En tout cas, je crois qu'on va bien s'amuser à échafauder un plan pour le faire tomber. » affirma Arthur en s'étirant comme un chat, comme s'il n'était pas en train de parler du fait de nuire délibérément à un camarade.

Il se laissa ensuite tomber en arrière, observant scrupuleusement les détails du plafond de la grotte. Chaque aspérité représentait une possibilité de faire du mal à Lawliet. Toutes n'étaient pas assez tranchantes pour être vraiment efficaces, mais elles pouvaient au moins égratigner. Il fallait simplement choisir le bon morceau roche pour taillader là où cela faisait mal. Fermant les yeux, Arthur abandonna l'observation de la voûte. Il était encore trop prématuré de penser à de tels projets. Il ne disposait pas d'une vue d'ensemble assez claire pour se le permettre. Et puis, ils étaient en vacances. N'étaient-ils pas censés profiter de leur jeunesse et des plaisirs simples de l'été tant qu'ils étaient à leur disposition ?
Toujours les yeux fermés, Arthur se relaxait en écoutant les échos de la mer contre les parois rocheuses et la respiration parfaite de Lancelot à ses côtés. Il ne prenait pas assez souvent la peine de se détendre, et il en avait assez de parler. Pour une fois, il avait besoin d'écouter.

« Alors dis-moi, Lance, qu'est-ce que tu as prévu de faire pendant ces longues et ennuyeuses vacances loin de tout ? »

L'enthousiasme d'Arthur fait plaisir à voir, et Lancelot sent son cœur se réchauffer à l'idée de faire quelque chose de bien. Cela le surprend lui-même - cette façon de se réjouir parce que l'on fait quelque chose de bien. Il ne comprend pas trop quelle est la source de cette auto-satisfaction - pourquoi devrait-on aimer se mettre au service des autres ? C'est, à tous les coups, un des pièges de la psyché humaine, afin d'éveiller l'altruisme dans le cœur des gens. Si on ne ressentait rien en portant assistance à autrui, on ne le ferait probablement plus. A moins de développer un fort sens du devoir - ce dont semble également souffrir le Serpentard, ces derniers temps.
Il perçoit le soulagement d'Arthur, et malgré la pénombre dévorée par son lumos qui continue de ternir les couleurs, le gamin lui paraît encore plus éclatant que d'habitude. Le regarder brûle presque ses rétines, et, pour apaiser son regard malmené, le Suédois détourne les yeux, préférant se confondre dans les noirceurs de la grotte - se disant que la vision nocturne serait certainement un don très utile.
Il ne regarde donc pas Arthur quand celui-ci lui parle d'Ant-man. Ce n'est pas très important, de toute façon, car tant qu'il entend le Serdaigle, il n'a pas besoin de plus.
« Parce que je ne suis pas capable de protéger les plus faibles, moi ? »
Le ton se fait un peu trop sec, Lancelot se mord la lèvre. Conscient d'avoir dévoilé une faille à un instant critique, il se retourne pour offrir à Arthur un sourire amusé - comme pour lui dire que c'était une plaisanterie. Sauf que cela ne l'est absolument pas. Lancelot s'est senti vexé, l'espace d'un instant - parce qu'il a eu l'impression qu'Arthur remettait en cause sa capacité, à lui, à le protéger. Et, à part en se lançant dans un discours un peu gênant affirmant qu'il sera toujours pour son ami, et qu'il est prêt à de nombreux sacrifices pour lui, comment désamorcer la bombe ? Le plus simple est encore de détourner l'attention d'Arthur vers un autre sujet.
« Il a forcément une faille. Tout le monde en a une. Le tout, c'est de la trouver. Tu devrais pouvoir le faire aisément, non ? On ne se méfie jamais de toi, après tout. »
Et c'est précisément à cause de cela que c'est Arthur le vrai chef, et Lancelot l'homme de paille. Même si, aux yeux du Suédois, il pourrait aisément prendre la seconde place. Il agirait cependant de manière totalement différente, et s'afficherait aux yeux de tous comme le chef. C'est sans doute le plus flagrant indice du fait que Lancelot Thompson n'est pas le chef des duellistes illégaux : si c'était le cas, il l'assumerait vraiment.
Il s'installe à côté d'Arthur allongé, son dos raide et droit contrastant avec la décontraction du petit.
« Moi ? je reste dans le bungallow. Je vais lire, dormir, étudier un peu pour ne pas avoir à le faire à la rentrée. Ce genre de choses. Et toi ? Tu comptes t'ennuyer ? »
Il aurait presque envie de lui proposer de venir dans son bungallow dans la journée, cependant, il sait que ce serait une mauvaise idée. Arthur serait une compagnie agréable, mais remuante, et le jeune homme pense qu'il vaut mieux ne pas trop abuser des bonnes choses. Se reposer véritablement, avant sa cinquième année, serait la meilleure décision à prendre, et c'est ce qu'il compte faire. Cela lui permettra de réfléchir. A des choses.
Des choses utiles.

Profiter de l'instant présent était quelque chose de difficile lorsque le cerveau était en constante ébullition. Les pensées mouvantes et instables poussaient l'esprit dans toutes les directions : passé, futur, possibilités qui n'avaient jamais vu le jour, idées générales qui ne s'appliquaient pas aux cas particuliers, problèmes concrets qui semblaient insolvables quand on les regardait de trop près... il y avait tant de sources de distractions que profiter de l'instant présent était quasiment impossible. Arthur ne sentait pas s'écouler le temps, pas même lorsqu'il le consacrait avec son meilleur ami. Il constatait son écoulement, sans vraiment s'en étonner. Alors, il trouvait du bonheur dans un tas de petites choses qu'il observait et qui le faisaient sourire. Comme par exemple, la pointe de jalousie de Lancelot lorsque le rouquin avait évoqué le côté protecteur d'Ant-Man. Ce charmant lapsus, qu'Arthur était trop courtois pour relever, était si significatif de Lancelot. Jamais ce dernier n'accepterait d'être considéré comme quelque de bien, capable d'éprouver des sentiments altruistes à l'égard des autres, mais la façon dont il s'offusquait lorsqu'on le comparait à quelqu'un d'autre, quelqu'un face à qui il ne voulait pas perdre, évidemment, était plus que significatif. Lancelot se trouverait des excuses pour rattraper son erreur, mais il ne pouvait empêcher Arthur de comprendre ce qu'il voulait véritablement dire.
Cela étant, Arthur pouvait-il lui reprocher de ne pas assumer ce qu'il était ? Pas vraiment. Lancelot avait droit d'être celui qu'il désirait, et si cette personne n'était pas sa véritable personnalité, pourquoi le lui reprocher ? Il avait le droit de ne pas aimer ce qu'il était vraiment.
D'autres choses étaient appréciables aux yeux d'Arthur, comme la présence froide et sérieuse de son ami à ses côtés. Lancelot ne se détendait pas vraiment, il aimait rester sur sa réserve, comme s'il s'agissait de la position la plus reposante pour lui, et de ce fait, il était vraiment agréable de se tenir à ses côtés. La confiance qu'il avait en son cadet, persuadé que celui-ci viendrait à bout de toutes les difficultés qui se présenteraient devant eux. Arthur non plus n'avait pas vraiment de doutes : même lorsque la solution ne se trouvait pas encore sous ses yeux, il se savait capable de la découvrir rapidement. Discuter d'un plan maintenant était inutile : un jour, celui-ci mûrirait de lui-même dans l'esprit d'Arthur, et il serait dangereusement efficace. Il ne fallait pas s'inquiéter de l'avenir. Enfin, la dernière chose qu'Arthur trouvait agréable, était le sentiment de sécurité qui les entourait. Lancelot y était pour quelque chose, de par son sérieux et sa méticulosité, mais Arthur contribuait tout autant à cette atmosphère, qui ne pouvait naître que de la collaboration de deux talents. Personne n'entendrait jamais ce qu'ils diraient, personne donc ne saurait ce qui se passait dans le dos de tout le monde.
La conversation avait dérivé sur un sujet moins sensible, le planning des vacances, qui se révéla désespérément sérieux pour Lancelot. Le Serpentard n'avait pas du tout envie de profiter de la mer, mais Arthur ne put s'empêcher de demander candidement :

« Dormir... bronzer sur la plage ? »

La vision d'un Lancelot au teint hâlé lui traversa l'esprit. Loin de rendre le jeune homme séduisant, une peau plus foncée aurait dénaturé son beau visage, le rendant plus doux et accessible. Ce n'était pas le Lancelot qu'Arthur connaissait. C'était tout de même du gâchis, car Arthur aurait bien aimé bronzer plutôt que rougir comme une écrevisse au soleil. Et pourtant, malgré cette contrainte, lorsque Lancelot lui retourna la question, Arthur n'hésita pas un instant à affirmer son envie de profiter du soleil. Affronter la nature ainsi pouvait paraître stupide, car il n'y avait sans doute aucun moyen d'empêcher le coup de soleil qui frappait Arthur au moins une fois chaque été, mais reculer devant un obstacle ne faisait pas non plus partie de sa devise.

« Eh bien, pour ma part, puisque j'ai acheté une bonne dose de crème solaire et que je suis bien équipé, je compte aller jouer à la plage quand il ne fera pas trop chaud. Et puis, me faire discret, bien sûr, je n'ai pas envie d'attirer l'attention plus que nécessaire. Pour le reste... j'improviserai. Ce sera une expérience enrichissante, je pense. »

Ne pas savoir ce qu'il allait faire de ses vacances aurait pu effrayer Arthur, qui avait l'habitude de tout prévoir, mais il comptait exercer sa capacité à s'adapter à l'imprévisible pendant ces deux mois loin de tout. Il avait le sentiment que cette compétence pourrait lui être très utile à la rentrée.
Cependant, ce n'était pas tout : Arthur n'avait pas envie de dévoiler l'intégralité de son éventuel planning à Lancelot. Il avait déjà quelques tâches de prévues, ne le cachons pas, mais il comptait s'en occuper seul, sans aide extérieure. Parfois, la présence de Lancelot pouvait être un certain poids, particulièrement lorsque le rouquin avait besoin des coudées franches, aussi ne jugeait-il pas utile de l'informer de tout ce qu'il faisait. De cette façon, Arthur était assuré de garder le contrôle de Lancelot en toute occasion.
À peine Arthur s'était-il interrompu qu'un bruit se fit entendre dans leur dos, comme si quelque chose - ou quelqu'un - s'éloignait à toute vitesse vers l'intérieur de la grotte. Cela ne ressemblait ni à des pieds nus, ni à des sandales, juste à quelque chose marchant dans une flaque d'eau. Surpris, Arthur se leva et regarda en arrière, mais il était déjà trop tard pour apercevoir quelque chose. L'ombre aurait pu lui dire s'il s'agissait d'un être humain ou d'un animal, mais la portée du Lumos était trop faible. La cachette idéale d'Arthur et de Lancelot, censée les préserver de tout indésirable, se retournait contre eux. La poisse.

« Je crois... qu'on a été entendus. » révéla Arthur sans exprimer d'inquiétude.

Pour l'instant, il en était à l'heure des constats. Arthur savait que quelque chose se trouvait derrière eux et avait pu épier leur conversation. Cela ne signifiait pas pour autant qu'il devait sauter immédiatement à des conclusions hâtives.

Parler de son programme avec Arthur fait prendre conscience à Lancelot de son total manque d'ambition en la matière - et cela, évidemment, constitue un problème sérieux. Ne devrait-il pas, au contraire, en profiter pour essayer de conquérir le monde le temps d'un été, en tentant de se faire le plus de suiv... d'amis possible, de se faire connaître comme un sorcier talentueux auprès des autochtones et des autres touristes, de travailler à sa future position de leader ? Non, au lieu de cela, rien ne l'intéresse tant que de passer ses journées à ne rien faire. Ô tristesse. Il sent venir Arthur : il considère que l'on peut bronzer sur la place - ce qui est vrai - mais aussi y aller jouer. Il serait donc logique de les voir tous deux passer ensemble. Lancelot secoue cependant la tête, refusant de jouer à ce petit jeu-là. Il n'oublie jamais qu'Arthur est un excellent manipulateur, peut-être encore meilleur que lui (mais uniquement parce que, question visage, le petit est avantagé par rapport à lui, évidemment). Il corrige donc, de son habituel ton froid :
« Non, non, évidemment. Dormir dans mon bungallow. Je déteste le soleil, la chaleur fait trop transpirer, et l'idée de me mêler à la plèbe ne me dit absolument rien. Profite bien, toi. »
Ainsi, c'est dit : Lancelot n'a pas l'intention d'aller à la plage, même pour son meilleur ami. D'un autre côté, il est en train de montrer que si celui-ci tient à le voir, il peut le faire : n'est-il pas là, en face de lui ? L'équilibre des pouvoirs ne plaît pas trop au Suédois, il a l'impression que le petit roux parvient encore à garder l'avantage, par il ne sait quel miracle. Lancelot déteste cela.
Il remarque tout à coup qu'Arthur se retourne, avant de lui informer qu'ils ont probablement été entendus. Lancelot le dépasse et s'enfonce un peu dans la grotte. Rien du tout. Ça a dû s'éloigner, quoique ce fut. Le sorcier ne s'en inquiète pas vraiment : ils n'ont rien dit de compromettant, à ce stade, même s'il est effectivement suspect qu'ils se réunissent dans une grotte. Il hausse donc les épaules ; dans son dos, il sent qu'Arthur est également dénué de toute angoisse. Encore une des raisons pour laquelle le petit est bien mieux taillé pour son rôle de chef qu'on ne le pense : on le sait froussard, mais il n'a pas peur de tout, ce qui, bien sûr, renforce son alibi.
« Ah, quel dommage. J'aimais bien cet endroit. »
Une pointe de moquerie dans la voix informe Arthur que Lancelot est en train de se rire de sa peur du noir. Non que ce soit charitable de sa part, ni qu'il ait besoin de recourir à de telles mesquineries pour affermir sa propre autorité. Il fait suivre à Arthur de le suivre.
« Allez, on s'enfonce un peu, et on va voir ce que c'est. »
Il ne lui laisse pas vraiment le choix. C'est lui qui a la baguette, c'est lui qui éclaire - donc c'est lui qui décide. C'est aussi simple que cela. Il commence déjà à partir, laissant Arthur dans une pénombre de plus en plus forte.

La présence inconnue qui était venue troubler leur repos aurait pu inquiéter Arthur, si cette nouvelle donne ne venait joyeusement ébranler le sentiment de sécurité absolu que le garçon ressentait à cet instant. Arthur l'avait toujours su, il n'était pas vraiment fait pour les petites vies tranquilles et reposantes, mais il n'avait jamais réussi à se mettre volontairement en danger. Il était de ceux qui aimaient danser au bord du vide, non sans un solide filet de sécurité pour le protéger. Mais dût la sécurité ou le danger l'emporter l'un sur l'autre, l'équilibre qui plaisait tant à Arthur aurait été brisé. Il fallait une juste dose de chaque sensation pour rendre sa vie parfaitement proportionnée.
Lancelot était l'élément de stabilité, celui qui endormait sa méfiance et lui promettait une absence totale de danger. Sa présence était rassurante, bien sûr, mais parfois, elle n'était pas suffisante. Arthur savait trop bien le manipuler pour son propre bien. Il savait qu'il n'arriverait pas à convaincre Lancelot de venir à la plage, et c'est d'ailleurs pour cela qu'il n'avait même pas essayé. Il était certain que Lancelot lui prêtait volontiers des intentions qu'il n'avait pas. Il trouvait cela amusant, parfois. Et parfois, le sérieux rigide de Lancelot était ennuyeux. Il y avait des limites à ce qu'on pouvait lui faire faire. C'était normal : tout cassait lorsqu'on le pliait trop fort. Pour autant, ce n'était pas quelque chose qu'Arthur trouvait satisfaisant, bien au contraire.
Et puis, le bruit suspect était l'élément perturbateur, celui qui déclenchait une vague d'adrénaline nouvelle en lui. Arthur ne paniquait pas, parce qu'il avait conscience que les risques étaient limitées : s'il avait dû jouer sa place de leader secret, sans doute aurait-il éprouvé quelques doutes, voire même des inquiétudes. Mais dans ces conditions, tant que les faits n'avaient pas été clairement établis, le danger lui paraissait limité. En dose suffisante pour éveiller sa curiosité, mais loin d'être assez pour le mettre mal à l'aise. Arthur savait que, de toute façon, Lancelot allait prendre les devants dès qu'il lui aurait signalé le danger, et qu'ils avaient de nombreux moyens à leur disposition pour empêcher leur secret de s'ébruiter. Rien qu'ils ne puissent gérer.
Un brin moqueur, Lancelot réagit conformément aux attentes d'Arthur, en prenant les devants et en lui faisant signe de le suivre. Il n'en avait pas besoin : déjà, Arthur se levait sans un moindre regret et faisait face à la bouche béante que formait la grotte. À la vue de la cavité sombre, Arthur hésita un bref instant : la grotte était particulièrement obscure, il n'avait pas intérêt à perdre Lancelot de vue, même s'il était prêt à faire jaillir de la lumière à son tour s'il se sentait en danger. Interdiction ou pas de pratiquer la magie, lorsqu'il était question de vie ou de mort, aucun mineur ne pouvait être blâmé pour ses agissements, surtout en l'absence totale de Moldus. Cela n'aurait pas été souhaitable, mais même un génie comme Arthur ne pouvait pas se contrôler parfaitement. La certitude de pouvoir utiliser la magie en cas de problème rassura Arthur, qui rattrapa rapidement Lancelot pour éviter de se faire totalement cerner par l'obscurité.
La baguette du Serpentard fournissait un éclairage heureusement assez large pour eux deux, ce qui laissait à Arthur toute latitude pour scruter scrupuleusement les lieux. Il n'était pas assez doué pour savoir distinguer les traces humaines des animales, mais il était évident que quelque chose était passé par là. Il y avait des éclaboussures un peu partout, comme si quelqu'un ou quelque chose avait marché précipitamment dans les flaques d'eau pour s'enfuir. Arthur ne signala pas cette observation à Lancelot : si celui-ci n'était pas assez doué pour les remarquer, c'était son problème. Il se contenta de marcher silencieusement à ses côtés, assez longtemps pour inquiéter Lancelot, si ce dernier se faisait des soucis à son sujet.
Lentement, ils suivirent les traces, qui avançaient vers l'avant. Les deux camarades arrivèrent ensuite à une intersection où les traces se brouillaient. Voilà qui leur compliquait la tâche. Ils s'arrêtèrent tous deux pour observer les lieux. Arthur chercha, en vain, des traces de passage, même s'il savait qu'il ne trouverait rien de concluant.

« Je doute qu'on puisse retrouver notre espion, à présent, fit-il remarquer. Il s'est enfui trop rapidement et il doit être loin à l'heure qu'il est. Tant pis. Retourn... »

Ses paroles furent interrompues par le même bruit que tout à l'heure. Il provenait de la droite. Sans manifester de surprise, Arthur tourna la tête vers le bon chemin.

« J'ai parlé trop vite, on dirait. C'est par là. »

Il laissa Lancelot et sa lumière avancer. Arthur était déjà en profonde réflexion. Apparemment, leur espion, qui ou quoi que ce soit, n'avait pas eu l'intention de s'enfoncer trop profondément dans la grotte. Mais Lancelot et Arthur l'avait rattrapé, et la voix d'Arthur l'avait perturbé et incité à reprendre sa course. Ils allaient devoir faire attention au bruit qu'ils faisaient, car s'il pouvait entendre leur espion, lui aussi pouvait les entendre.

Lancelot a parfaitement conscience de son rôle dans leur duo. Il n'est pas celui qui prend les décisions concernant les duellistes, ni celui qui profite des fruits de leur travail. Il est celui qui prend les risques, et qui doit ensuite s'assurer que cela ne retombe pas sur Arthur. Juste pour lui. Bien sûr, cette situation lui convient tout de même. C'est pour lui une façon de prouver sa force. Il a assez entendu les vieilles affirmations qui vous incitent à protéger plus faible que soi, que c'est là la puissance ultime que tout combattant recherche. Lancelot ignore si cela est vrai ; il ne se soucie d'ailleurs que très peu du besoin que l'on peut ressentir à devenir chevalier - ce n'est pas véritablement un problème qui le concerne. Il sait juste que, si chevalier il est, cela veut dire qu'il vaut plus qu'Arthur. Cette comparaison apaise sa conscience malmenée par les doutes. Lancelot peut avancer dans le noir car il est animé par l'absolue certitude de sa valeur, et de la nécessité qu'il représente aux yeux d'Arthur.
Arthur ne saurait exister sans lui.
Arthur n'aurait jamais fondé les duellistes sans lui.
Fort de ses postulats, Lancelot s'enfonce dans les ténèbres. Ces dernières l'engloutissent amoureusement, le serrant dans leurs bras sibyllins pour l'accueillir plus encore dans leur sein funèbre. On croirait voir une dame blanche, qui retourne en ses pénates goûter un repos bien mérité. Lancelot se sent à l'aise, après tout. Il a l'impression que c'est là qu'est sa place, et qu'il arrache Arthur à l'assurance de la clarté. Son éclat fauve se ternit déjà dans la pénombre. Il lui emboite cependant le pas, comprenant probablement qu'il n'a guère le choix, à part de lui ordonner clairement de s'arrêter - ce qui signerait sa défaite. De dos, Lancelot laisse un rictus déformer ses lèvres. Il lui semble parfois que sa haine pour Arthur est incommensurable ; elle menace de l'entraîner dans les abysses de l'atrocité pour lui donner les armes qui lui permettront de se défaire du joug qu'il a attaché à son cœur.
Une intersection vient perturber sa droite progression, et le Serpentard laisse son ami le rejoindre. Il pourrait se décider seul, mais il aurait alors à assumer toute la responsabilité en cas d'échec - et c'est bien la seule chose qu'il ne saurait tolérer avec Arthur. Il est bien plus aisé de le laisser prendre une décision, et lui reprocher par la suite ses manques - en cachant bien le fait que, si lui-même n'a pas émis la moindre protestation, cela marquait son consentement. Le petit roux s'apprête à partir quand tout à coup, le même son inquiétant résonne dans l'air. Lancelot est parfaitement d'accord avec son analyse : à droite donc.
Le jeune homme commence à avancer, se disant qu'Arthur le suivra. Toutefois, à mesure qu'il s'enfonce un peu plus dans les profondeurs de la grotte, la petite tache orange qui lui sert de repère s'efface de plus en plus, jusqu'à disparaître totalement dans le noir. A ce moment-là, Lancelot s'arrête.
Que doit-il faire ? Continuer comme il a l'intention de le faire, pour essayer de rattraper l'espion et le faire chanter, comme il a l'habitude de le faire ? Après tout, c'est là le danger le plus important : ils n'ont rien dit de compromettant, mais n'importe qui peut comprendre qu'ils ne sont décidément pas nets. Si Arthur s'est arrêté, c'est que cela ne le dérange pas d'être dans le noir. Lancelot peut donc s'occuper tout seul de l'espion, lui offrir la plus douce des terreurs avant de revenir vers celui qui est censé être son chef, la tête haute. Ce serait fort aisé. Il devrait faire cela.
Mais.
Il pense au petit Arthur, et à ses yeux étincelants ; à ces moues boudeuses qu'il peut faire lorsqu'il souhaite cacher quelque pire émotion ; à la façon dont il tente, inconsciemment, de l'imiter, comme si l'indifférence et l'assurance de Lancelot étaient deux choses qu'il souhaitait reproduire pour être maître de lui-même. Lancelot se sent sourire. Comme il est adorable, ce gamin. Il va sans doute avoir peur, tout seul.
Alors il retourne sur ses pas, essayant de ne pas songer à ce que cela veut dire sur son attitude actuelle.
« Bon, dis-moi, tu fais quoi ? On n'a pas que ça à faire, on a une taupe à attraper. »
Il se passe la main dans les cheveux, un peu gêné d'être revenu sur ses pas juste parce qu'il ne pouvait se résoudre à laisser Arthur tout seul.