Des renards et beaucoup d'amour [PV Hayden]

Cecil court dans les couloirs – ne sont-ils pas faits pour cela, ces sinistres longs boyaux de pierre ?
Cecil court et dans son grand manteau de Poufsouffle, il ressemble aux anges blonds adolescents que les moldus aiment perdre sur les triptyques des grandes cathédrales, le côté posé en moins.

- Quelqu’un ! Quelqu’un !

Crie le petit blond tout en courant. Il s’époumone, il appelle au secours, il réveille tout le voisinage.
Les étudiants se retournent, surpris de voir cette silhouette d’habitude immobile soudain s’animer de pareilles émotions.


Là ! Devant lui !

- Oh Hayden ! Aide-moi je t’en prie !

Hayden n’a pas le temps de répondre que déjà Cecil a agrippé son coude et le tire tire tire vite très loin très dans le couloir très dehors très dans le soir déjà un peu noir.

- C’est Gaspard ! Mon renard ! Non sa copine !

A Hayden, Cecil peut dire ce genre de choses. Hayden, c’est le première année qui cuisine si bien et qui donne à Cecil – comme à d’autres – friandises, sucreries et confiseries faites avec amour, tendresse et bonne humeur. Car sûrement y a-t-il tout cela dans les préparations d’Hayden pour qu’elles soient aussi fondantes, aussi chaleureuses, entre la langue et le palais. Après les avoir mangées, Cecil sent toujours son cœur battre un rythme de berceuse ou un rythme de valse amoureuse. Un cuisinier plein d’acrimonie ne pourrait réussir un tel tour de force !

Alors oui, Cecil tire Hayden vers son petit trésor.

Il s’arrête soudain à la lisière interdite, là où les arbres épient les vivants en ricanant et les bêtes s’arment de crocs.

- J’ai besoin de toi pour leur trouver des prénoms ! Et je crois que la renarde a des problèmes ?

Dans un recoin d’arbuste, sous le couvert d’un feuillage bien dru, une portée de trois renardeaux cherchent les mamelles d’une renarde épuisée. A ses côtés, un renard roux – Gaspard – observe les deux adolescents d’un air revêche. Après tout, il vient d’être père… Et la sécurité de ses bébés prévaut désormais sur tout…

L'adolescence est une ouverture de banquet. Il y a tant de choses à voir, à découvrir. On regarde d'abord de loin, on hésite. Quelques uns ne voient qu'un seul trésor en particulier, certains sont conscients qu'ils ne peuvent pas s'accaparer de tout, et d'autres tendent à avoir les yeux plus gros que le ventre. Peu importe son choix, il n'y a pas de bonne façon d'appréhender ces richesses, ce festin. Et Hayden le sait bien, on ne peut d'ailleurs pas toujours prévoir à l'avance la réussite d'un repas. Un vrai cuisinier cherche toujours de nouvelles saveurs, et les expérimentations sont le meilleur moyen. Les écarts de recettes, l'improvisation, le manque d'attention génèrent les surprises et contribuent à innover. Cette vision-là aussi anime le jeune garçon. Oui, Hayden affectionne cette vision simple de la vie qui lie ses émotions et sa passion.

Cette résonance à laquelle le cuisinier en herbe est sensible le conduit ce soir à chercher l'inspiration au travers des couloirs de l'école. Comment avoir de nouvelles idées si l'on ne s'ouvre pas aux expériences ? C'est ainsi que Hayden cultive son imagination et vagabonde parmi les couloirs. Il contemple alors la lune de par les colonnes en pierre.

- C'est drôle, tu as l'air d'une guimauve..., songe t-il. Tiens, je me demande si la pâte s'accorde avec -

Un jeune garçon interrompt ses rêveries. C'est son ami Cecil qui s'affole autour de lui. Mais celui-ci n'est pas du genre à se faire remarquer, d'habitude. Il attire alors toute l'attention de Hayden.

" Mais que t'- "

Le souffle du rêveur s'échappe alors que le garçon l'attrape. Cecil se tracasse pour la renarde de son compagnon. Hayden sait à quel point son ami tient à Gaspard, et se laisse donc emporter dans l'élan.
Les deux Poufsouffle courent à travers l'extérieur du château.

Puis ils sont là. Le renard, la renarde...et trois renardeaux. Hayden remarque d'abord que les nouveaux parents acceptent facilement leur présence, malgré une certaine prudence réciproque entre les garçons et eux. Chaque partie garde son calme. Doucement, l'attention laisse place à l'émerveillement.

Le calme règne aux alentours de la scène. Chaque bruissement des petits berce avec légèreté ce moment. D'un pelage à l'allure soyeuse, encore court et brun foncé, ils semblent s'éveiller sereinement autour de leur mère, et cherchent à tâtons les mamelles. Leurs gestes respirent l'innocence. Rien ne peut perturber la tranquillité remarquable de ce moment. La scène se situe hors du temps. Ils sont dans un rêve.

" Merci Cecil. ", murmure paisiblement Hayden.

Paradoxalement, le jeune sorcier ressent ce moment comme l'un des plus magiques de sa vie, alors qu'ils se trouvent à Poudlard.

Cecil propose de leur trouver des prénoms et s'inquiète, s'angoisse pour la nouvelle famille de Gaspard. C'est bien l'une des rares choses qui peut mettre le jeune garçon dans cet état, à la connaissance de Hayden.

" Ne t'inquiète pas, je pense que c'est normal pour la mère. Son affaiblissement n'est que temporaire. Elle se repose pour l'instant. Si tu veux, on peut veiller sur eux tous les deux quelques temps. Comme ça, on prend le temps de leur trouver les meilleurs prénoms. C'est un honneur que de me proposer cela, tu sais. Et puis, la lune est vive ce soir, on peut bien rester dehors un peu plus longtemps ! "

Hayden ne veut pas quitter cette bulle de paradis, pas maintenant.

- Oui restons !

Nous avons le temps, toutes les secondes que prennent les fleurs pour éclore, tous les cycles du vent dans nos cheveux et tous les rayons des astres pour nous.

Et sur nous une lune paisible dépose une aura argentée. Celle qui enveloppe les rêveurs de soleil et de joies et de bonheur.

C’est notre innocence, c’est notre utopie d’adolescents, c’est notre force. Notre force que nous ne troquerons contre rien au monde. Contre vents et marées, contre les ombres noires, contre les angoisses des jours sans lumière, contre nos parents, contre nos amis ; pour la vie, pour la joie, pour le bonheur.

Alors quand la mère douloureuse geint.
Alors quand les petits gémissent.
Alors quand le père touche du bout du museau le museau de sa bien-aimée.

- Elle a du mal… Il y en a peut-être encore un ?

Nous nous abaissons. Nous nous inquiétons. Mais nous croyons.

Les feuilles crissent, les fougères cassent, les roches roulent sous le corps doux et humide de la femelle qui halète qui transpire qui crie du fond de la gorge.

Gaspard n’est qu’un renard, il a l’intelligence des bêtes. Sans diplôme sans études sans concepts, avec son instinct avec ses yeux noirs remplis de certitude et de savoir et de croyance en cette vie que nos parents que nos amis devenus grands ont perdu avec le temps.

Mais nous, nous avons le temps, l’amour et le courage que nous donne la lune. Nous regardons la délivrance, la quatrième et la dernière, sous le couvert des grands arbres qui se taisent, soudain, éblouis par la naissance.

Il est petit minuscule et faible. Plus fragile que ses frères. Plus pâle aussi. D’autres se poseraient la question de sa survie.

Mais nous, nous avons le temps, l’amour et le courage que nous donne la lune. Alors nous nous émerveillons.

Et Gaspard, avec son intelligence de bête mortelle, s’émerveille avec nous.