il habitait ces rêves d'or, où les jeunes gens franchissent toutes les barrières - Argus

Argus était cette jeunesse insouciante et indolente. De celle aux sourires blasés, à l’assurance ennuyée qui se voulait maitre d’elle-même et que rien ne semblait jamais étonner. De cette jeunesse ennuyée, rouillant entre les murs trop étroits des salles de classes, levant sans cesse les yeux au ciel, baillant aux corneilles, regardant le parc d’un air lointain. Il détestait les bibliothèques, l’air étouffant que dégageaient les gens sérieux qui y travaillaient, le nez caché derrière d’épais bouquins au contenu assommant. Il n’aimait pas non plus heures bruyantes du repas, où la foule étudiante et pressée, chahutait un brouhaha d’incohérences et de stupidités lassantes. On avait souvent l’impression qu’Argus s’ennuyait de tout et qu’il observait la vie comme un spectateur blasé, particulièrement désinvolte. Retenir son attention n’était jamais chose aisée, puisque tout lui semblait affreusement banal et qu’il ne portait pas attention aux détails. Les commérages se perdaient sur ses oreilles sourdes à de tels enfantillages ; Tout comme il ne remarquait jamais les groupes de filles agglutinées gloussant pour d’évidentes raisons.
Argus était en somme une personne inébranlable que rien ne savait inquiéter. Tout, presque tout, ricochait sur son sourire particulièrement séduisant et désinvolte.
Pourtant Argus était une âme qui ne demandait qu’à s’animer. Ca le prenait souvent comme ça par de violentes et irrésistibles pulsions. Des envies soudaines de danger et de frissons, de braver des interdits et de se lancer dans de folles expéditions, juste pour vaincre l’ennui puant des journées passées à étudier. Dans cette lassitude, il ne se refusait rien et téméraire il n’hésitait jamais la moindre seconde. Souvent, il y avait de la malice, de la facétie dans les troubles semées. Parfois c’était cruel également quand il se plaisait à tourmenter certains camarades dont la tête lui était déplaisante, au seul motif qu’il en était capable et que ça le faisait bien rire. Argus était impulsif. One ne comprenait également pas cette passion brusque et inexplicable que pouvait lui évoquer certaines demoiselles. Ça lui venait par vague, des envies persistantes et surtout palpitantes qui l’exaltait du plus profond de son être. Il aimait férocement et sincèrement. Mais parfois cela lui passait tout aussi brusquement et le brasier s’éteignait inexplicablement ; Il lui arrivait de vite se lasser.

Argus était de cette jeunesse passionnée, révoltée et surtout insoumise pour qui la discipline ne constituait qu'un mot creux de sens ; où d'avantage un défi au lieu d'un interdit. De ses parents à ses professeurs, tous se sont heurtés à son regard effronté. A cette volonté d'évoluer sans la moindre contrainte. Argus était ce garçon qu'un adulte aurait volontiers qualifié de petit con prétentieux, car rien n'aurait su lui faire accepter la moindre forme d'autorité. Des heures de retenues, des leçons de morales et des punitions il ne retenait jamais rien, ne se souciait de rien dans sa légendaire désinvolture et finissait toujours par se trouver dans le pétrin. Et quand on le prenait à nouveau la main dans le sac, il haussait les épaules faussement désolé. Il avait l'insolence et les sarcasmes, ces formes honnies de fausses politesses, comme mécanique de réaction. Et on s'ennuyait de cet étudiant particulièrement culotté qui pourtant par moment savait se montrer attachant quand il n'était pas occupé à briser les règles.

Argus était une sorte de romantisme un peu passée. De celle un peu morose et abattue qui avait un amour profond de la loose quand avec celle-ci venait la manière. Il aurait mille fois choisi d'être un magnifique perdant, plutôt que de vaincre sans gloire. C'était une idée fermement ancrée dans son esprit dont il n'avait jamais su se départir. Aussi relativiser était la norme chez Argus qui sans être pour autant optimiste, minimisait toujours les échecs et il arguait indifférent qu'il y aurait toujours demain pour se rattraper.

Il n'était pas aussi désinvolte qu'on pouvait le croire cependant. Argus était prompt à s'enflammer très vite quand cela le touchait lui, ou les gens qui lui étaient proches. Car Argus avait l'amour profond et la loyauté immuable. Il n'avait qu'une seule parole et ne s'autorisait jamais à revenir dessus. Il préférait mourir que de trahir. Aussi il était bien souvent prêt à tout pour ses amis. Même à faire taire ses valeurs et ses idéaux, si il en résultait des conflits. Et parfois c'était la cause d'un mal intérieur quand il questionnait son affection à Demeter, mais Argus avait dans l'idée que sans l'amour nous n'étions rien et c'était un principe qu'il n'aurait abandonné pour rien au monde. Il était d'ailleurs persuadé que si ses parents avaient fini vieux et cons c'était faute d'amour. Alors même lui, d'ordinaire inflexible et borné en face de l'autorité, finissait par plier quand il était question d'amour.

Il avait souvent eu l’impression d’étouffer quand il arpentait les couloirs bien sombres de la baraque sinistre qu’il avait longtemps dû appeler maison. Cet endroit glauque semblait jaillir d’un autre temps comme imperméable à la modernité. De multiples vieilleries en jonchaient les meubles en bois lustrés et les portraits de ses ancêtres tapissaient certains murs, le dévisageant avec un air désapprobateur. Argus fit un pas vers le salon. Marqua un temps d’arrêt imperceptible.

Son père était mort.

Cette constatation l’effleura alors qu’il poussa une porte branlante du bout du pied, qui trembla en un grincement. Il eut un sourire indolent. Cet endroit ne lui avait pas manqué le moins du monde. Il n'y avait que de mauvais souvenirs.

- Te voilà.

On sentait le dédain oindre de la voix sifflante de sa mère dont les rides s’étaient accentuées, exagérant d’avantage les traits sévères de son visage. Ses longs cheveux sombres tombaient désordonnés sur ses épaules. Du rouge cramoisi colorait ses lèvres retroussées. Elle le dévisagea avec dégoût.
Elle ne lui avait pas manqué non plus.
Il s’engouffra dans la pièce sans répondre tout de suite. Ses yeux glissèrent au travers de l’endroit. Il constata que rien n’avait changé. Et c’était tristement prévisible. Argus s’approcha de la fenêtre.

- Les parents de Juniper me l’ont dit hier. Qu’est-ce-ce que c’était ?
- La dragoncelle.
- Ah.

La cause du décès de son père le laissa indifférent. Elle aurait tout aussi bien pu lui annoncer le résultat d’un match d’une obscure équipe de quidditch, tant il en était complètement détaché. Dos tourné à sa mère, Argus se contenta d’acquiescer en silence.
Il n’avait jamais aimé son père et ses idées éculés. Il l’avait même détesté à une époque avant de cesser de penser à lui complètement. Sa mort lui avait rappelé à quel point ils étaient différents malgré les liens du sang les unissant. C’était d’ailleurs l’unique chose les liant car pour tout le reste ils étaient diamétralement opposés ce qui les avait déchiré il y a bien longtemps ; Ce jour là où Argus avait été mis à la porte pour avoir trop marqué son opposition.

Ce souvenir ne le laissait cependant pas amer. Il n’avait jamais porté une affection quelconque à sa famille et à tout ce qui y était rattachée. Cette maison y compris. Il avait complètement coupés les ponts et avait tracé sa route.

Revenir ici lui paraissait bizarre. A vrai dire, il ne savait même plus ce qui l'avait poussé à venir. Sans doute les exhortations de Juniper.

- Elias voulait te donner ça.

Il se retourna et la vit sortir un petit médaillon en argent, sur lequel était representé un ‘J’ stylisé.

- Mais tu n’en veux pas.
- Oui.

Il ne voulait pas de ces breloques familiales, qui symbolisaient toutes ces choses qu’il avait un jour rejetés. Et sa mère parut satisfaite de voir qu’il n’y portait aucun intérêt et rangea le médaillon dans l’une des poches de sa robe. Déjà désireux de se soustraire à cette présence et de couper court à cette discussion Argus se retourna et s’avança.

- Qu’avons-nous fait Argus, pour mériter un fils comme toi.

Elle ne le regardait plus et avait le regard rivé vers le ciel gris de Manchester.

- Qu’ai-je fait pour mériter une famille comme vous.
- Tu nous détestes et pourtant tu traînes sans cesse chez les Green. Et on ne te voit jamais sans Demeter.
- Oui.

A cela Argus n’avait pas de réponses. Elle avait raison : Il s’était révolté contre cet endroit et ses traditions dépassées pour en rejoindre un autre semblable si ce n'était pire.

Quelle ironie.

Pourtant s’il avait conscience de cette contradiction, il n’en était pas gêné car Argus savait deux choses. Il aimait Demeter et Juniper. Il détestait sa famille. Et l’amour rendait les choses plus supportables. Peu démonstratifs, ni agréables, il n’en avait jamais senti de la part de ses parents, même tout gosse et peut-être que la différence venait de là.
Au fond Argus n’en savait trop rien et se fichait éperdument de savoir.
Il fixa sa mère et pensa que c’était sans doute la dernière fois qu’il la verrait ainsi. En tout cas elle ne lui avait pas manqué et ne lui manquerait sans doute pas. Cela ne le rendait ni particulièrement triste, ni particulièrement heureux. Car elle ne méritait même pas la moindre considération de sa part et le jour où elle partirait, il n’y aurait que du vide. Comme aujourd’hui où le départ de son père n’avait rien soulevé en lui.

- Au revoir.

Et Argus s’avança, ne se retourna pas, pour enfin ressortir de cette maison.

Il ne reviendrait plus.