Je pensais sincèrement que c'était une bonne idée.
Quand je me suis réveillée, ce matin, je me sentais enfermée. Perdue dans un brouillard sans fin, brouillant chaque recoin de mon esprit. Je n'arrivais pas à réfléchir, j'avais les mains moites, le souffle court, le ventre noué. Je n'avais pourtant pas le moindre examen dans la journée, pas le plus petit devoir à rendre ou à recevoir ; ma vie devait ressembler à ce à quoi elle ressemble toujours: un lac immense et sans perturbation. Je ne suis pas celle qui a des problèmes. Je suis celle qui les résout. C'est ainsi que sont les mamans, normalement. Si l'on excepte ma mère des mamans ordinaires. Maman n'est pas une maman.
Enfin, passons. Toujours est-il que je ne comprenais pas – je ne comprends toujours pas – ce qui pouvait m'arriver. Je ne voulais pas me sentir mal. Je voulais être bien. Bien pour les autres. Et je ne me sentais pas en état. Pas en état de ne serait-ce que dire bonjour à qui que ce soit. Maintenant que j'y pense, je crois avoir entendu Tullie me dire bonjour en passant devant mon fauteuil pour aller petit-déjeuner, et je ne suis pas certaine de lui avoir répondu. Mon Dieu, je suis une horrible maman, il faudra que j'aille vite m'excuser une fois que je serai descendue de là. J'ai honte. J'ai si honte. Mais j'étais si mal. Je ne sais pas si je saurais vous expliquer à quel point j'étais mal. Peut-être pouvez-vous imaginer un bus vous renversant, et puis un réveil à l'hôpital, sans la morphine. Je ne sais pas. Je ne savais pas quoi faire. Je suis retournée m'enfouir sous les couvertures, et j'ai attendu de ne plus entendre le moindre bruit dans la salle commune. J'ai attendu de ne plus entendre de bruit, et puis j'ai attendu encore, pour être certaine d'être seule. Le silence, autour de moi, était comme du coton s'infiltrant par mes oreilles, venant sceller mon cerveau pour de bon. Je devais bouger. Je savais que je devais aller en cours, que j'étais déjà tellement mauvaise, que je ne pouvais pas me permettre en plus de rater des heures de cours. Alors j'ai fini par quitter mon lit, m'habiller et prendre mon sac.
Et j'ai essayé. Je vous jure que j'ai essayé.
Je suis presque arrivée jusqu'à ma salle. J'ai imaginé l'excuse que je pourrais donner pour être arrivée avec ces quelques minutes de retard. Je voulais dire que j'étais passée aux toilettes et que je n'avais pas réussi à débloquer la porte en voulant sortir. Je voulais dire que j'avais attendu que quelqu'un vienne, et que personne n'était venu, alors que j'avais dû escalader la porte. Ma mauvaise maîtrise des enchantements n'aurait fait douter personne quant à mon incapacité à utiliser l'Alohomora. J'allais frapper à la porte. Vraiment, vraiment, j'allais frapper, mais je ne savais pas, j'avais envie de vomir, de pleurer ; je ne voulais pas vomir, je ne voulais pas pleurer, et surtout pas au milieu de toute ma classe. Alors, vous savez, vous voyez, que j'ai essayé, mais je n'ai pas pu, je ne pouvais pas, je ne peux toujours pas. J'ai continué à marcher jusqu'au bout du couloir, avant de prendre l'escalier. J'ai aimé monter l'escalier. C'était calme. Il y avait du monde par-ci par-là, mais pas trop, juste ce qu'il fallait, c'était un joli début de journée. J'ai aimé monter l'escalier, ce qui m'a conduite à gravir le suivant. Ce que j'aimais, c'était la régularité de la chose. Une marche reste toujours une marche ; quoiqu'à Poudlard mon affirmation pourrait rapidement être démentie. Je suis quand même arrivée sans encombre jusqu'au septième et dernier étage.
Je sais, j'aurais dû m'arrêter là.
Je me serais arrêtée là, s'il n'y avait pas eu ces magnifiques balcons, si proches, me tendant les bras. Je me serais arrêtée là, s'il n'y avait pas eu cette vue à couper le souffle, et les tuiles sombres du château, juste sous mes yeux, presque proches, me criant que du toit, la vue devait être encore plus incroyable. Ça faisait tellement longtemps que je n'avais pas fait quelque chose d'un peu incroyable. J'avais la tête engourdie, l'impression qu'en arrivant là-haut, tout le brouillard agglutiné dans mon esprit serait balayé par le vent. Alors j'ai grimpé sur le parapet, je me suis mise en équilibre, suffisamment pour me hisser là. Sur le toit. J'avais raison par ailleurs : la vue est encore plus sublime que depuis les balcons. Si ce n'est que je suis, maintenant, bien incapable d'en descendre. Je me félicite d'avoir au moins pris mon sac. J'ai envoyé cet origami à Bartholomew. Je lui ai envoyé, parce que je sais qu'il ne se moquera pas. Ou alors un peu, avant que je lui ai expliqué la situation. Il se moquera moins que Perceval toujours. Et il sera capable de me sortir de là. J'espère.
Je pensais sincèrement que c'était une bonne idée.