CRACHE TON VENIN.
Il somnolait.
Assis sur un fauteuil au coin de la salle commune, l’attente longue et interminable à une heure aussi tardive, avait inévitablement provoqué une fatigue qui n’était que prévisible. De fines mèches tombaient au-dessus de ses paupières dont les cils battaient faiblement pour ne pas se fermer mais sa conscience s’évadait petit à petit. Son coude gauche continuait de s’enfoncer progressivement dans l’accoudoir moelleux et il ne respirait plus que faiblement.
Ce fut un bruit doux qui le fit sursauter brusquement. Il avait entendu comme le frottement du tissu contre la pierre froide des couloirs menant au dortoir. L’esprit soudainement clair comme de l’eau, il se redressa imperceptiblement et profitant de la pénombre, guetta la porte de sortie de la salle commune. Une ombre fugitive rasa les murs avant d’en actionner la poignée et de s’engager dans les chemins sinueux des catacombes.
Il attendit patiemment et exactement dix secondes avant de suivre les pas sur celle-ci avec toutes les précautions du monde. Dans l’obscurité il voyait à peine à quelque pas devant lui et devait se fier aux quelques pâles lueurs qui filtraient en ces lieux ainsi qu’a un bruit lointain et continuel de friction. Avec précaution il prit garde à ne pas alerter un corps qui devenait encore distant. Dans le parcours qu’il empruntait, Demeter devina le chemin peu familier menant aux cachots. Il les avait visités seulement une fois lors de son parcours scolaire, plus précisément lors de sa seconde année, quand Argus avait eu la brillante idée d’y enfermer une première année un peu trop curieux et un peu trop naïf. Sans s’attarder sur ces souvenirs il s’attarda avant un tournant qui donnait droit sur une rangée de cellules aux barreaux rongés par le temps. Devant lui, une vive lueur orangée illumina soudainement le couloir, accompagnée de quelques bruissements supplémentaires. En prenant son mal en patience, Demeter se mit à compter les secondes qui lui paraissaient étonnement longues. Il se mordit avec violence la lèvre inférieure en fermant les yeux, priant à tout prix que ce soit elle.
C’était son obsession du moment. Elle l’avait mis en échec ; Tris Williams. Une vulgaire sang de bourbe qu’il avait continuellement trainé dans la boue au cours des cinq années communes qu’ils avaient passé ensemble. Il l’avait toujours cru plus faible, plus innocente qu’elle le paraissait. C’était une fille trop gentille, trop facile à torturer. Son genre d’exutoire préféré pour cracher sa haine à la gueule du monde. Oh comme il avait été cruel avec elle. La pauvre n’avait pas répliqué une seule fois, se murant dans le silence du faible, l’évitant par tous les moyens. Elle portait le pelage blanc de l’agneau. Lui avait les crocs aiguisés du loup. Alors jamais il ne l’aurait cru aussi impitoyable, aussi vicieuse, qu’avant ce jeudi dernier où elle l’avait abordé à une heure tardive dans la salle commune.
La gentille Tris avait alors laissé tomber son masque et il avait alors réalisé l’ampleur du jeu gigantesque dont elle était la maitresse. Des mots, une simple phrase, l’avait fait tomber de haut comme jamais. Pris à la gorge, terrassé par la vérité, c’était à présent lui avec le couteau sous la gorge et elle avec le plus narquois des sourires, un regard retors qui ne trompait pas.
Sous sa gueule d’ange, ses rires sucrées, ses manières de gentille fille, Tris Williams était en réalité une tueuse au sang-froid dont la lame avait trouvé la plus fine des crevasses que portait son armure.
Lui Demeter Hyrus Green à la merci d’une sang de bourbe. Elle le ferait tomber avait-elle dit en se délectant de l’horreur qu’elle venait de lui infliger. Et elle l’enfoncerait plus bas que terre, pour toutes ces années subies.
Du moins c’était sans compter sur cette hargne qui l’habitait. Elle avait toutes les cartes en mains mais pour lui infliger le plus grand des désespoirs, elle avait décidé de lui en révéler une partie. Et il comptait bien lui faire payer au prix fort cette clémence, cette erreur d’étourderie. Il lui montrerait qu’il n’était pas la proie vulgaire mais qu’il était la tête du loup qui même coupée mordait encore.
Il sortit de sa cachette d’un pas vif. La vision qui s’offrit à lui le ravit.
Tris Williams à l’intérieure d’une cellule avait la baguette pointée au niveau de son cou dans une position étrange. Mais il n’en avait pas grand-chose à faire. Il l’avait surprise à minuit, seule, dans un lien étrange, inhabituel pour la personne qu’elle prétendait être.
Demeter annonça sa venue par une toux narquoise et s’appuya contre la paroi humide du mur des cachots. Sa main enfoncée dans sa poche se cramponnait au manche de sa baguette par sécurité mais il le savait ; Il dominerait le troisième échange. Et Tris Williams aurait dû porter le coup fatal à l’abri de tout retour. Tant pis pour elle. Le temps de la pitié était fini.
Avant qu’elle ne puisse réagir il tendit sa baguette vers elle.
Expelliarmus.
Et il actionna son poignet une nouvelle fois. Avec un bang métallique la porte l’enferma et se verrouilla. Il jubila intérieurement et toisa sa proie, ses lèvres découvrant un rictus carnassier.
- Tiens, tiens. Regardez qui se promène dans les cachots à minuit. Tris Williams, une élève exemplaire, à n’en pas douter.Puis sa mine se durcit. Il ne jouait pas avec la viande, mais elle embrasserait le cuir de ses bottes avant de passer l’arme à gauche.
- Donne-moi une seule bonne raison de ne pas tenter une oubliette sur toi et de ne pas te laisser moisir ici, Williams. Juste une seule.